Romanoslavica XVI (1968)

 

21. L'INFLUENCE ROMAINE PROVINCIALE SUR LA CIVILISATION SLAVE À L'ÉPOQUE DE LA FORMATION DES ÉTATS

MARIA COMŞA

 

- Fig. 1. Pots romains-provincials à decor des lignes ondulées de Noricum

- Fig. 2. Céramique dace de l’époque de La Tène ornée de lignes horizontales et ondulées

- Fig. 3. Céramique ornée de lignes horizontales et ondulées de la Dacie, de l’époque romaine et post romaine, du IVe siècle

- Fig. 4. Céramique ornée de lignes horizontales et ondulées de l’époque des migrations

- Fig. 5. Anneaux temporaux romains provinciaux (I) de Pannonie et du haut Moyen âge qui se sont développés des prototypes romains provinciaux: II, chez les Slaves occidentaux; III, chez les Slaves du Sud; IV, chez les Slaves orientaux

- Fig. 6. Lumules romaines (I) et slaves (II—III)

 

 

Déjà au siècle dernier, les spécialistes (J. I. Pić, M. Jahn, etc.) [1] ont remarqué les liens de la civilisation romaine provinciale avec la civilisation des Slaves. Ces mêmes spécialistes affirmaient que les formes et les ornements de la céramique romaine ont été transmis aux Slaves par les Germains du Rhin.

 

Quelques décennies plus tard, Liubor Niederle, bien que disposant d’un matériel incomplet, remarquait toute une série de similitudes frappantes entre la civilisation slave de l’époque dite des gradište et la civilisation romaine provinciale du Moyen-Danube, d’où il concluait que la céramique slave d’époque plus récente — appelée alors gradištna ou Burgwallkeramik — ne pouvait signifier que la réception par les Slaves des formes similaires romaines provinciales [2]. À la différence de ses prédécesseurs, L. Niederle montre pourtant que l’influence de la civilisation romaine provinciale sur la civilisation des Slaves ne s’exerce pas seulement sur la céramique et sur le développement du métier du potier en général, mais qu’elle se laisse également surprendre dans le travail des métaux [3], les parures (certains types d’anneaux temporaux, notamment ceux avec le bout en «S») [4], ainsi que dans l’adoption de certains éléments dans les types d’habitation [5]. Selon L. Niederle, la zone principale de contact entre les Slaves et la civilisation

 

 

1. J. L. Pić, K ostazce о puvodu typy hradištneho, in «Pamàtky arheologické a mistropisné», XVIII, 1899, VI—VII, p. 394 et suiv., 402 et suiv,, 493 et suiv. ; idem, Die Urnengrüber Böhmens, Leipzig, 1907, p. 261 ; M. Jahn. «Mannus», IV, Ergänzungsband, p. 147.

 

2. L. Niederle, Manuel de l'antiquité slave, II, Paris, 1926, p. 228—229.

 

3. L. Niederle montre que certains types d'outils agricoles (socs de charrue, faucilles, etc. — cf. op. cit., p. 187 et suiv. et p. 196, cf. aussi aux fig. 61, 62 et 66), ainsi que quelques types de haches (cf. p. 281, fig. 107) ont été adoptés par les Slaves grâce à leur contact avec le monde romain.

 

4. Ibidem, p. 92.

 

5. Selon L. Niederle, les Slaves primitifs employaient l’âtre ouvert. Le four, en tant que système supérieur de chauffage, a été adopté ultérieurement, par suite de l’emprunt fait à l’Occident germanique (stuba < germ. istŭba). Mais l’auteur accepte également l’hypothèse que les Slaves auraient bâti des fours imitant les modèles romains même avant de connaître la stuba germanique.

 

À notre avis, la question de savoir si les Slaves ont imité les fours en usage dans le monde romain doit être soumise à un examen particulier, car elle ne semble répondre qu'à la situation de quelques zones du voisinage du Moyen-Danube. En ce qui concerne les autres régions, les recherches récentes infirment cette hypothèse : le four apparaît également chez les Slaves habitant le Nord, où — comme on le sait — l'influence romaine ne s’exerçait pas et un peu plus au Sud et vers l'Est l’on constate des fours d'un type inconnu dans le monde romain. Ce dernier fait, corroboré par le terme vieux slave peć pour désigner le four (pešti = cuire), nous incite à penser que du moins dans certaines régions les Slaves ont contribué à la naissance d’un type original de four à double fonction : système supérieur de chauffage et moyen de préparer la nourriture.

 

 

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romaine provinciale était le Nord des provinces Pannonia et Noricum. Les éléments d’origine romaine provinciale se sont infiltrés de cette région dans les contrées sises au Nord du Moyen-Danube, diffusant ensuite plus loin vers le Nord et le Nord-Est [1].

 

Selon une autre opinion, les Slaves auraient entré en contact avec la civilisation romaine provinciale en Pannonie inférieure (dans le territoire qui s’étend en Hongrie à l’Ouest du Danube), soit par voie directe [2], soit par la filière des Avares [3].

 

Une quinzaine d’années après la parution de l’ouvrage de L. Niederle, Ivan Borkovsky faisait la découverte du type pragois, qu’il définissait comme le plus vieux type de céramique slave, antérieur à celle plus évoluée, dite gradištna ou Burgwallkeramik. Il estime que se type part de formes déjà connues au La Tène, avec une forte influence romaine provinciale [4].

 

Les plus vieilles formes de la céramique slave d’Europe centrale une fois connues, toute une série de chercheurs, dont il convient de rappeler tout d’abord le nom de J. Poulik, prouvent que la céramique de date plus récente, travaillée au tour et ornée d’habitude de lignes horizontales et ondulées, s’est développée du type pragois [5].

 

Récemment, J. Eisner, disposant d’une documentation plus abondante, apporta de nouvelles précisions à cet égard, à savoir que la Burgwallkeramik est née de la céramique de type pragois, sous l’influence des produits romains provinciaux [6].

 

Traitant du problème de la céramique slave en général et de la céramique slave de Bulgarie tout particulièrement, Kristo Miatev estime que la céramique slave de date plus récente (la Burgwallkeramik) n’est pas le successeur direct de la céramique slave de date plus ancienne (predgradištna keramika). Ces deux espèces se ressemblent beaucoup — dit l’auteur — mais cette ressemblance est due à leur prototype commun, qui n’est autre que l’urne sans anses,

 

 

1. L. Niederle, op. cit., p. 225.

 

2. Chr. Albrecht, Beitrag zur Kenntnis der slawischen Keramik auf Grund der Burgwallforschung im miltleren Saalegebiet, «Mannus», 33, 1923, p. 48.

 

3. I. L. Červinka, Slované na Moravé a řiše Velkomoravské, Brno, 1928, p. 204 et suiv.

 

4. I. Borkovsky, Staroslovanská keramika ve sředni Evropa, Praha, 1940, p. 38.

 

5. J. Poulik, Staroslovanská Morava, Praha, 1948, p. 15—19 ; idem, Jižni Morava zemé dávných slovanu, Brno, 1948—1950, p. 53—61.

 

6. J. Eisner, Kdy i jak bylo Slovensko zabráno předky slovenskeho naroda, in «Sbornik filosofickej fakulty universyty Komenskeho», Historia, LV, 1964, p. 5.

 

 

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à lignes incisées horizontales ou ondulées, déjà connue dès l’époque du La Tène [1]. Selon Kristo Miatev, la céramique de date plus ancienne et sans ornements (predgradištna) fut adoptée par les Slaves qui s’étaient installés dans les contrées précédemment habitées par les Celtes et les Illyres ; à l’origine de la céramique slave plus évoluée (gradištna, Burgwallkeramih) il y a la céramique de ces mêmes populations illyriennes et celtiques, mais passée par la filière des provinces romaines du Danube [2]. Kr. Miatev attire l’attention sur le fait que l’on ne saurait expliquer le développement de la céramique dans toute le territoire habité par les Slaves aux IXe et Xe siècles partant seulement de l’Europe centrale. Il convient d’y tenir compte des contacts et des influences qui ont joué entre les Slaves et la culture romaine provinciale dans le Nord de la péninsule balkanique [3].

 

Le problème a été repris ces derniers temps par Zdenko Vinski qui s’occupe de la question de continuité de la population romanisée aux VIe et VIIe siècles dans le Nord-Ouest de la péninsule balkanique [4].

 

Enfin, un dernier ouvrage digne de notre attention est celui de Bedrich Svoboda, qui traite du problème des traditions antiques dans la civilisation slave de haute époque [5], en fonction des nouveaux documents archéologiques.

 

Dans ce que je viens d’exposer ci-dessus, j’ai tâché d’esquisser la position des divers spécialistes en ce qui concerne le contact des Slaves avec la civilisation des provinces romaines du Danube. Mais il convient de souligner que les recherches archéologiques des dernières années ont amené au jour des matériaux d’une telle abondance qu’ils permettent la reprise du problème dans un cadre plus large.

 

En ce qui suit, j'essayerai d’analyser tour à tour les différentes zones de contact et le rôle qu’elles ont eu à jouer dans le développement de la civilisation des Slaves, pendant la période qui a précédé et dans celle contemporaine à la formation des États.

 

L'une des plus importantes parmi les zones de contact entre la civilisation romaine provinciale et les Slaves était — comme L. Niederle l'a montré du reste [6] — le Nord des provinces romaines Pannonia et Noricum. De cette zone, l’influence romaine s’est répandue surtout en pays morave, pour se propager ensuite plus loin vers l'Ouest, en Bohême, et vers l’Est. En ce qui concerne la céramique, l’on peut faire toute une série de précisions partant des dernières fouilles. En effet, l’on peut constater par l’analyse des types de vases courants aux VIIe—IXe siècles en Moravie que certains d’entre eux

 

 

1. Kristo Miatev, La céramique slave en Bulgarie et son importance pour l'archéologie des Balkans, Sofia, 1948, résumé français, p. 75.

 

2. Ibidem, p. 75.            3. Ibidem, p. 76.

 

4. Zdenko Vinski, Betrachtungen sur Kontinuitätsfrage des autochtonen romanisiertcn Ethnikons im 6. und 7. Jahrhunderts, in Problemi delta civiltà e dell'economia Longobarda, „Biblioteca dalla rivista, «Economia e storiă»" no 12, Milano, 1964, p. 101—106.

 

5. Bedřich Svoboda, Zum Problem antiker Traditionen in der ältesten slawischer Kultur, in «Origine et débuts des Slaves», Prague, VI, 1966, p. 87—114.

 

6. L. Niederle, op. cit., p. 225.

 

 

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se sont développés du type pragois, adoptant seulement le décor ondulé [1]. Mais aux côtés des vases de type pragois, il y a aussi — de manière sporadique, il est vrai (du moins jusqu’à présent) — le pot, de facture certainement romaine provinciale [2]. Plus fréquents sont les pots au décor composé de lignes horizontales et ondulées, confectionnés selon la technique locale, mais avec quelques différences de forme par rapport au type pragois, alors qu’ils montrent en échange des analogies avec les pots (urnes) d’origine romaine provinciale de Pannonie et du Noricum [3] (fig. 1). Il est évident qu’en dehors du type pragois les Slaves ont adopté aussi les formes similaires produites par la civilisation romaine provinciale. D’autres formes se sont développées partant des types connus en Bohême et Moravie dès l’époque des migrations [4].

 

La céramique d’usage commun n’est pas la seule à provoquer l’évocation de l’influence romaine ou de la présence au Nord du Moyen-Danube des produits romains ou de tradition romaine. Dans la nécropole de Devínska Nová Ves il y a des cruches qui attestent également la persistance d’une poterie de bonne qualité. Celle-ci provient des ateliers de l’ex-province de Pannonie, qui ont continué de produire longtemps après que la domination romaine eût cessé dans ces territoires. De même les cruches amphoroïdales attestées dans les établissements moraves (Staré Město, Blučina, Roušinov, près de Brno) [5] et considérées parfois d’origine byzantine représentent toujours des traditions romaines de la région pannonique, où du reste les ateliers de cette sorte ont persisté longtemps, jusqu’au Xe siècle [6]. À l’époque d’expansion de l’État morave, les métiers de cette sorte se sont déplacés, introduisant la confection des produits similaires dans certains centres moraves aussi.

 

En ce qui concerne le métier du potier et la diffusion de l’ornement ondulé chez les Slaves du Moyen-Danube, nous distingons d’une part une

 

 

1. Ces vases ont gardé la forme tronconique dans leur portion inférieure, avec l’embouchure largement ouverte et le fond étroit ; le col bas et le rebord plus ou moins évasé ; la partie de raccord du col avec la pense très cintrée; le diamètre maximum se trouvent toujours dans cette région.

 

2. Un pot de facture typiquement romaine provinciale, pouvant être daté fort probablement aux VIe—VIIe siècles, a été découvert à Bohušovice et il se trouve à présent au Musée National de Prague (no. inv. 17961, 1924) ; il a été publié et attribué comme tel par J. Neustupny, dans «Slavia», I, 1948 — publication qui pour l’instant ne nous a pas été accessible. Nous devons ces renseignements à R. Turek, auquel nous lui exprimons notre gratitude par cette voie également.

 

3. Ces types, à la différence du type pragois, ont le diamètre de l’embouchure à peu près égal au diamètre du fond ; leur diamètre maximum se trouve soit au niveau de la partie du raccord du col avec la pense, soi vers le milieu de la pense. De même les gourdes en forme de bouteille sont — à notre avis — la transposition dans une technique plus grossière des formes similaires du répertoire céramique romain provincial de Pannonie.

 

4. Cf. J. Poulik, Jižni Morava..., p. 87, fig. 44/a—b ; fig. 124/b, c; fig. 125; fig. 126/a, d; fig. 127—130.

 

5. Ibidem, p. 116, fig. 64/a, b et plus loin la fig. 99 ; idem, Staroslovanská Morava, pll. XXVII—XXIX.

 

6. En Hongrie, des formes similaires sont connues déjà à l’époque des Avares; celles-ci se sont conservées sur le territoire de l’ancienne Pannonie, avec quelques modifications, jusqu’à la haute époque féodale (cf. A. Sós-S. Bökönyi, Zalavár, Budapest, 1963, p. 304, pl. XCII/1—2, 8—9).

 

 

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influence romaine provinciale directe, exercée par l’entremise des ateliers qui survivaient dans les territoires des anciennes provinces Pannonia et Noricum ; et d’autre part, il y a une influence indirecte, transmise par les populations «barbares» (en partie germaniques), qui ayant occupé naguère ces territoires avaient hérité de certains types de vases romains provinciaux et de l’ornement ondulé [1].

 

Des vases travaillés au tour, datant du VIIe siècle, contemporains à ceux de Moravie, ont été découverts également dans les régions avoisinantes de l’Oder. Dans la zone .comprise entre l’Oder et un peu au delà vers l’Ouest de la Sprée, est attesté le type Tornow, illustré par des pots à double tronc conique, avec la partie supérieure ornée de lignes horizontales, de bandes ondulées, de croix renversées, etc., ou bien sans ornements [2]. À l’Est de l’Oder, en Silésie, ainsi que dans l’Ouest de la Petite Pologne et le Sud-Ouest de la Grande Pologne, les vases à double tronc conique, confectionnés au tour, coexistent avec la céramique modélée à la main [3]. Sur le cours inférieur de l’Oder, dans le Mecklemburg oriental, nous avons le type Feldberg, datant de la même période que le type Tornow. Il est représenté par des vases en forme de bol largement ouvert et au fond étroit, avec un ornement fait de bandes de lignes ondulées et placé sous le rebord [4]. Des types similaires, sans ornements ou ornés dans leur partie supérieure de lignes ondulées, de guirlandes, etc. [5], ont été découverts en Poméranie occidentale aussi. Enfin les vases à double tronc conique, ornés de lignes ondulées ou en zigzag et confectionnés au tour lent, sont également connus plus au Nord-Est, dans la région de Lębork [6].

 

En ce qui concerne leur exécution technique, ainsi qu’au point de vue de la forme et l’ornementation, les vases confectionnés au tour sur la gauche et la droite de l’Oder et en Poméranie continuaient de vieilles traditions, connues dans la zone respective déjà à l’époque des migrations [7] et qui s’étaient développés toujours sous l’influence de la civilisation romaine provinciale. Il s’agit alors seulement d'une influence indirecte. Jusqu’au VIIe siècle, ces types se confinaient dans une zone étroite voisine de l’Oder, d’où, vers la fin du VIIe et au VIIIe siècle, ils ont irradié des aires plus larges, sur la droite et sur la gauche du fleuve. Cette céramique confectionnée au tour, qui s’était

 

 

1. En ce qui concerne leur forme et leur décoration, certains pots (cf. J. Pоulik, Jižni Morava, fig. 124/b, c ; fig. 125 ; fig. 126/a, d ; fig, 127 ; fig. 128/c, d) provenant de la nécropole Dolni Věstonice (okr. Mikulov) gardent — selon nous — quelques détails depuis l’époque des migrations : la forme à double tronc conique ou presque, les cannelures larges sillonant horizontalement la portion du raccord du col avec la pense, la forme et l'execution du motif ondulé.

 

2. Kultur und Kunst der Slawen, Berlin, 1965, p. 10—11; Joachim Hermann, Tornow und Vorberg, Berlin, p. 36, 67, 73—75.

 

3. Witold Hensel, Forschungsprobleme der polnischen Keramik des frühen Mittelalters, in «Praehistorische Zeitschrift», XXXVII, 4, 1959, p. 201 et suiv. ; Zofia Hilczerowna, Die frühmitlelalterliche Besiedlung des Ober- und Mittelobraggebietcs, in «Archaeologia Polona», IX, p. 103—129.

 

4. Kultur und Kunst der Slawen, p. 9 et suiv.

 

5. Witold Hensel, op. cit., p. 205—209 ; idem, La naissance de la Pologne, Wroclaw-Warszawa-Krakôw, 1966, p. 66, fig. 11.

 

6. Idem, Forschungsprobleme..., p. 205, fig. 8.

 

7. Joachim Hermann, op. cit., p. 124—126.

 

 

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perpétuée sur l'Oder depuis les migrations, devait jouer un rôle particulier dans le développement et la diffusion de ce métier aux VIIe—IXe siècles, dans les contrées orientales de l'actuelle R. D. Allemande (les provinces de Lausitz, Brandemburg et l'Ouest du Mecklemburg) et l'Ouest de la Pologne (la Silésie et la Grande Pologne, surtout la zone comprise entre la Warta et la Vistule). Elle exerçait en même temps une influence dans les régions méridionales de ce pays (notaminent l’Ouest de la Petite Pologne), où jouait aussi l’influence roumaine provinciale, pénétrée là du Moyen-Danube, à travers la Moravie.

 

Une autre zone de contact entre la civilisation romaine provinciale et les Slaves fut le Nord-Ouest de la péninsule balkanique, jusqu’aux environs du lac Balaton, territoire qui tenait jadis à la Pannonie. Les rapports des Slaves avec la population autochtone romanisée de cette région ont été étudiés récemment pat Zdenko Vinski. La conclusion de celui-ci est que la population romanisée est le substratum, alors que les Slaves sont le superstratum dans l'ethnogenèse des peuples du Nord-Ouest de la péninsule balkanique [1]. Nous es imens que les essais dignes d’être pris en considérations, faits jusqu’à présent, devient être poursuivis, car nous sommes suis que l’étude approfondie de l'Antiquité romaine de basse époque sera à même d’apporter une série d’éclaircissements en ce qui concerne la continuité de certains éléments romains provinciaux dans la céramique, les objets de parure, etc.

 

Un rôle important dans le développement de la civilisation slave de l’époque qui a précédé la formation des États a été dévolu à la romanité carpato-danubienne. Dans cette légion l’ornement fait de lignes horizontales et ondulées était connu déjà sur la poterie dace. Nous ne ferons pas ici l’analyse de la provenance chez les Daces de cet ornement, si il continue peut être des motifs décoratifs plus anciens attestés déjà par les vases de l’âge du bronze, ou bien si il découle de certaines influences grecques exercées dans les régions ouest-pontiques ou venues par la filière méridionale thracique. Le problème dépasse les limites du présent ouvrage. Il importe de signaler que l’ornement composé de lignes horizontales et ondulées, à peu près identique à celui rencontré plus tard sur la céramique slave, était fréquent également sur la poterie dace d’usage commun (pots, tasses, cassolettes, etc.). Les découvertes les plus caractéristiques jusqu’à présent sont celles faites à Sf. Gheorghe-Bedehaza [2], Arpaşul de sus [3], Sîncrăieni [4],

 

 

1. Zdenko Vinski, Zur Kontinuitätsfrage des autochlonen romanisierten Ethnikons und der spätantike Erbgut im Frühmitlelalterlichen Fundbestand Jugoslaviens, communiqué au VIIe Congrès International des Sciences Pré- et Protohistoriques, Prague, 1966.

 

2. K. Horedt et ses collab., Pătrunderea şi aşezarea slavilor în Transilvania, in «Studii şi cercetări de istorie veche» (abrév. SCIV), I, 1, 1950, p. 123—130. L’auteur a daté d’abord par erreur ce matériel du VIIe siècle, l’attribuant aux Slaves, ce qui est également une erreur. Plus tard, K. Horedt, dans Aşezarea de la Sf. Gheorghe-Bedehaza, in «Materiale şi cercetări arheologice» (abrév. «Materiale...») Bucureşti, II, 1956, p. 19, figg. 11/11—13 et 12/7—8, revient sur cette première opinion, attribuant ces pièces, à juste titre cette fois, aux Daces.

 

3. M. Macrea et D. Berciu, Aşezarea dacă de la Arpaşul de sus, dans le rapport Şantierul arheologic de la Caşolţ şi Arpaşul de sus, in SCIV, VI, 3—4, 1955, p. 615—621 ; cf. surtout aux fragments céramiques de la p. 619, fig. 23/9—10.

 

4. C. Preda, Săpăturile arheologice de la Sîncrăieni, in «Materiale», VI, 1959, p. 842, üg. 15/5, 7, 8, 9, 11, 13, 14.

 

 

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Cuciulata [1], Tilişca [2] et autres localités de Transylvanie. Mais dans la zone extracarpatique il y a aussi des établissements comportant un matériel similaire á Piatra Neamţ et Tiseşti [3] (fig. 2).

 

Par rapport à la Pannonie et au Noricum, où les pots d’origine celtique ou illyrienne sont adoptés par la civilisation romaine provinciale, en Dacie, les pots confectionnés à la main d’origine dace se sont conservés tels quels à l’époque romaine (fig. 3/5). Quant aux vases de forme romaine proprementdite, l’ornement ondulé est assez rare, du moins d’après ce que nous savons jusqu’à présent. Les pots de la Dacie romaine sont démunis d'ornements ou, tout au plus, ils portent 1—3 lignes horizontales sur la portion qui rattache le col à la panse du vase (fig. 3/1, 2, 4).

 

Au IVe siècle, l’ornement fait de lignes horizontales et ondulées apparaît sur les jarres à provisions (Krausengefässe), connues surtout dans la civilisation de Sîntana de Mureş-Tchernéakhov, mais également présentes dans d’autres complexes de l’Ouest de la Roumanie [4]. Les divers types de jarres à provisions sont quant à leur forme d’origine romaine provinciale et leur ornement est un héritage du contact avec la céramique dace. Cette fois encore les pots n’ont pas d’ornements ou seulement 1—3 lignes horizontales sur les épaules. L’ornement formé de lignes horizontales et ondulées est rare sur les pots du IVe siècle, confectionnés au tour (fig. 4/1) [5]. Mais sur la poterie dace confectionnée à la main ce motif est plus fréquent (fig. 3/3) [6].

 

Dans l’étape suivante (VIe—VIIe siècles), la zone extracarpatique avec la civilisation Ipoteşti-Ciurelu-Cîndeşti ainsi que celle intracarpatique avec la civilisation Moreşti-Bandu connaissent les vases pots travaillés au tour rapide et avec un ornement de 1—3 lignes horizontales, similaire à celui de la période précédente (IIe—IVe siècles). Mais en même temps nous avons aussi les pots travaillés soit à la main soit au tour rapide ornés de lignes

 

 

1. Gh. Bichir, Săpăturile de salvare de la Cuciulata, in «Materiale...», VII, 1901, p. 352, fig. 2/4; p. 353. fig. 3/1—4, 6—8).

 

2. Niculae Lupu, Cetatea dacică de la Tilişca, in «Materiale...», VIII, p. 480, fig. 3/10—12, 14, 15.

 

3. Anton Niţu, Ioana Zamoşteanu et Mihai Zamoşteanu, Sondajele de la Piatra Neamţ, in «Materiale...», VI, 1959, p. 363, fig. 4/2, 10; Anton Niţu et Mihai Zamoşteanu, Sondajul în cetăţuia getică de la Tiseşti, in «Materiale...», VI, 1959, p. 379, fig. 4/11.

 

4. On a découvert des fragments de rebord de jarre (Krausengefässe) ornés de lignes horizontales et ondulées à Valea lui Mihai (rég. de Crişana), et le Musée régional d'Oradea compte dans ses collections une jarre entièrement conservée.

 

5. Un tel fragment de pot a été découvert par nous dans la hutte no. 1, au cours des fouilles de Smîrdanu (district de Călăraşi), mais, jusqu'à présent, ce fragment demeure le seul de son espèce, tous les autres étant sans ornements ou portant seulement des cannelures sur la portion du raccord du col à la pense; cl. M. Comşa, Sondajul de la Smîrdanu, in SCIV, 17, 2. 1966, p. 383—400.

 

6. Ibidem, p. 393, fig. 7/4.

 

 

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horizontales ou de lignes horizontales associées à des lignes ondulées [1], continuant de vieilles traditions autochtones, héritées soit de la céramique dace, soit par la filière romaine provinciale ou «barbare» [2] (fig. 4/2-12). L’ornement de lignes ondulées a pu parvenir en Transylvanie par les populations germaniques aussi qui l’ont pris à leur tour dans les milieux romains provinciaux, mais hors de la Dacie.

 

Grâce au contact avec la population carpato-danubienne, les vieilles tribus slaves venues dans notre territoire aux VIe—VIIe siècles, devaient passer graduellement durant les siècles suivants de la poterie confectionnée à la main et sans ornement (type pragois ou autres types contemporains) ou tout au plus avec des encoches ou des alvéoles accusées (Suceava, aux points Şipot et Parc, etc., ainsi que la céramique de la plus vieille phase de la civilisation de Hlincea I) [3], à la céramique confectionnée au tour, ornée de lignes horizontales et ondulées [4].

 

 

1. K. Horedt et ses collab., Şantierul «Aşezări slave în regiunile Mureş şi Cluj», in SCIV, III, 1952, p. 337, fig. 17/20, 22, ainsi que d’autres fragments représentatifs inédits;

Valeriu Leahu, Raport asupra săpăturilor arheologice efectuate în 1960 la Căjelu Nou, in «Cercetări arheologice in Bucureşti», I, Bucarest, 1963, p. 40, fig. 26/4;

Vlad Zirra et Gh. Cazimir, Unele rezultate ale săpăturilor arheologice de pe Cîmpul Boje din cartierul Militari, ibidem, p. 68, fig. 16/11 ;

Margareta Constantiniu, Săpăturile de Ia Bucureştii Noi, 1960, ibidem, p. 95, pl. 1/5; p. 97, pl. II/7—8; p. 99, pl. III; p. 101, pl. V/1, 2, 5;

idem, «Săpăturilede la Străuleşti-Măicăneşti», dans Cercetări arheologice în Bucureşti, II, 1965, p, 180, fig. 87/1, 2, 4;

I. Nestor, Les données archéologiques et le problème de la formation du peuple roumain, in «Revue Roumaine d'Histoire», 3, 1964, p. 421, pl. 1.

 

2. Pour ce dernier cas, nous avons en vue les jarres à provisions (Krausengefässe) de civilisation de Sîntana de Mureş-Tchernéakhov et de la zone carpato-danubienne en général, ornées de lignes horizontales et ondulées ; ensuite, le modèle s’est communiqué graduellement aux pots autochtones, travaillés au tour rapide, aux VIe—VIIe siècles, et plus tard à la céramique slave.

 

3. La céramique décorée d’encoches et d’alvéoles était connue en Roumanie aussi avant la venue des Slaves, par la poterie dace (les pots confectionnés à la main, surtout en Transylvanie), ainsi que plus tard (mais de manière plus sporadique), à l’époque des migrations (dans différents complexes sarmatiques ou appartenant à la civilisation de Sîntana de Mureş-Tchernéakhov). Dans ce dernier cas, il s’agit de la poterie apportée des régions nord-pontiques par les diverses peuplades en migration. L’on ne saurait établir des rapports génétiques entre les ornements en usage dans les complexes susmentionnés et la céramique slave, parce que ces ornements disparaissent à l’époque des migrations. Ils ne devaient pas se montrer de nouveau au VIe siècle, mais ils réapparaissent dans notre pays au VIIe siècle, par l’entremise des tribus slaves dans la zone extracarpatique et des tribus slavo-avares dans la zone intracarpatique. Outre le fait que partant du matériel rassemblé jusqu’à présent on ne saurait affirmer la persistance sans interruption de ces ornements, il nous faut ajouter aussi qu’aux VIe—VIIe siècles, l’aire de leur diffusion dépassait do beaucoup le territoire de la Roumanie actuelle. Ces ornements constituaient des éléments décoratifs caractéristiques pour tous les établissements slaves sis entre les Carpates Boisées et le cours moyen et supérieur du Dnieper. De là ce système de décoration apparaît de nouveau sur le territoire de la Roumanie, avec le passage de certaines tribus slaves vers la péninsule balkanique dans les parties orientales ou par les tribus slavo-avares dans les régions intracarpatiques.

 

4. En ce qui concerne la Moldavie, ce passage a été récemment étudié par M. Petrescu- Dîmboviţa, dans son ouvrage Considérations sur le problème des périodes de ta culture matérielle en Moldavie du VIe au Xe siècle, in «Revue Roumaine d'Histoire», VI, 2, 1967, p. 181—199. Pour ce qui est de la céramique que l’auteur estime comme autochtone (fig. 1), selon notre avis elle aura pénétré en Moldavie méridionale, venant de la zone souscarpatique du Nord-Est de la Munténie et des environs du Bas-Danube. À ce propos, cf. aussi M. Comşa, Slavii de răsărit pe teritoriul R.P.R. şi pătrunderea elementului romanic în Moldova pe baza datelor arheologice, in SCIV, IX, I, 1958, p. 80 et suiv.

 

 

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En Moldavie, dans le cadre de la civilisation de Hlincea I, cette transition se passe plus lentement. Ici la céramique travaillée à la main persiste aux côtés de celle confectionnée au tour jusqu’au IX 'siècle y compris. Par contre, en Transylvanie et Munténie, où l’héritage romain provincial jouait un rôle plus important et l’influence byzantine s’exerçait avec une plus grande intensité, ce processus prit moins longtemps [1].

 

Mais il convient de mentionner que le territoire de la Roumanie actuelle en dehors de la pénétration slave du VIe et du commencement du VIIe siècle, a subi encore d’autres vagues de peuplades slaves vers la fin du VIIe et au VIIIe siècle. Celles-ci ont été en général d’une moindre ampleur, les Slaves étant maintes fois impliqués dans les incursions des Avares (le groupe Gîmbaş-Teiuş) ou tenant un contact étroit avec ces-derniers (le groupe Nuşfalău-Someşeni). Ces nouveaux venus apportent avec eux toute une série d’éléments provenant de la région du Moyen-Danube — céramique travaillée à la main et céramique confectionnée au tour, elle aussi ornée de lignes horizontales et ondulées, similaire à la poterie autochtone. C’est pourquoi distinguer les éléments de tradition autochtone en Transylvanie et établir les différences séparant les nouveaux venus des autochtones ne saurait se faire qu’après l’étude très poussée des détails de forme, de technique et même des variantes des motifs ornementaux [2].

 

Les provinces de Pannonie et de Dacie ont joué un rôle particulier dans le développement du métier du potier dans les territoires avoisinants.

 

Jan Eisner a montré il y a quelques décennies la présence en Slovaquie de deux types principaux de céramique slave confectionnée au tour : le type danubien et le type Tisa. Le premier est né dans le voisinage du Moyen-Danube, sous l’influence venue de Pannonie et du Noricum. L’autre s’est développé sous l’influence des ateliers de potier de la zone de la Tisa supérieure [3]. L’apport de la poterie dace à la genèse de ce dernier type — apport saisi par l’auteur susmentionné — ne saurait être négligé. Il y a aussi une différence qualitative entre ces deux types, parce que sur le Moyen-Danube le contact avec le monde romain était direct, alors que sur la Tisa supérieure ce contact devait prendre la filière «barbare». Aussi le type danubien est supérieur du point de vue de la technique de son exécution au type Tisa.

 

De même que dans les autres régions, les tribus slaves ont pénétré dans l’Est de la péninsule balkanique avec une céramique primitive, confectionnée à la main sans ornements (apparentée au type pragois ou à d’autres types

 

 

1. Pour la manière dont les Slaves du Bas-Danube se sont appropriés une technique perfectionnée dans un délai relativement bref, cf. aussi M. D. Matei, Contribuţii la cunoaşterea ceramicii slave de la Suceava, in SCIV, X, 2, 1959, p. 451.

 

2. M. Comşa, Pătrunderea slavilor pe teritoriul R. P. R, şi relaţiile lor cu populaţia autohtonă, communication au VIIe Congrès International des Sciences Anthropologiques el Ethnographiques, Moscou, août, 1964.

 

3. Jan Eisner, Devínska Nová Ves, Bratislava, 1948, résumé russe, p. 366—370.

 

 

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soit démunis d’ornements, soit seulement avec des alvéoles placées sur le rebord, comme dans la civilisation de Hlincea I) [1].

 

Kr. Miatev attire l’attention sur l’importance de l’influence romaine de la zone balkanique dans le développement de la civilisation des Slaves du Sud. Il montre que la céramique slave travaillée au tour est au fond en grande mesure redevable à ce contact [2]. Cependant la manière dont s’est perpétré ce contact entre les Slaves nouvellement venus et la civilisation romano-byzantine dans cette région n’est pas encore suffisamment éclairée. La seule chose que l'on peut affirmer partant des résultats obtenus jusqu’à présent est que les tribus slaves du Nord-Est de la péninsule balkanique ont passé de la céramique modélée à la main à celle travaillée au tour, adaptant d’une part leurs formes à la nouvelle technique et adoptant d’autre part les formes similaires, c’est-à-dire les pots de la civilisation romano-byzantine. Il paraît que certains types de vases ont été véhiculés de l’Ouest au long du Danube. En ce qui concerne l’ornement ondulé, il nous faut mentionner que dans cette zone il n’est pas d’origine romaine provinciale, les pots d’époque romano- byzantine étant à l’ordinaire démunis d’ornements. Il s’ensuit que l’origine de l’ornement incisé (lignes horizontales et ondulées, lignes horizontales associées avec des groupes de lignes verticales) de la céramique du Nord et du Nord-Ouest de la péninsule balkanique ne saurait être cherchée dans l’héritage autochtone. Ces ornements ont été apportés par une influence venue du dehors, du Nord-Ouest de la péninsule ou du Nord du Danube, alliée à une influence du Proche Orient, transmise soit par la filière byzantine, soit par les nomades ou demi nomades (porteurs de la civilisation de Saltovo- Maïatzk), venus des régions nord-pontiques dans le Nord-Est de la péninsule.

 

Par l’intermédiaire des Slaves établis dans la zone extracarpatique de la Roumanie, notamment par ceux fixés dans le Nord et le Nord-Est de la Moldavie, le décor composé de lignes horizontales et ondulées (d’abord employé seulement par la population autochtone de Munténie et peut être par celle de la Moldavie du Sud, avec laquelle les Slaves sont entrés en contact au VIe siècle) irradia à la fin du VIIe siècle et surtout au VIIIe siècle vers le Nord-Est, remontant le cours supérieur du Dniester et en Volhynie. Les influences venues du Sud ont rencontré dans cette région celles infiltrées de l’Ouest, qui véhiculaient des motifs ornementaux similaires de la zone du Moyen-Danube et de la Tisa supérieure. Il convient donc de rattacher la céramique confectionnée au tour de la région du Dniester supérieur et de Volhynie à l’influence romaine provinciale, pénétrée jusque là par l’entremise des différentes tribus slaves du Bas- et du Moyen-Danube. Ces tribus ont contribué à leur tour à la diffusion du métier du potier et de l’ornement ondulé dans la région du cours moyen et du cours supérieur du Bug méridional et du Dnieper. Mais dans cette zone il y a également une influence byzantine venue de Crimée. Enfin, dans les contrées voisines du cours moyen du Dnieper il y a aussi une influence venue d’Asie centrale et du Proche Orient, exercée

 

 

1. Jivka Vîjarova, Славянски и славянобьлгарски селища в българските земли VI—XI век, Sofia, 1965.

 

2. Kristo Miatev, op. cit., résumé français, p. 76, 78.

 

 

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par l’entremise de la civilisation de Saltovo-Maïatzk. Ainsi, les établissements et les nécropoles de type Volyntzevo, attestés sur les deux bords du Dnieper (depuis le cours supérieur du Donetz et les villes de Suma et de Sosnitza jusqu'à Pastirskoe, sise sur la droite du Dnieper), se distinguent par une espèce de céramique d'un gris noirâtre, qui offre un alliage harmonieux de l’ornement obtenu par le lustrage avec les motifs incisés, faits de lignes horizontales et de bandes ondulées, de guirlandes, etc. [1] Le décor composé de lignes horizontales et ondulées s’est développé ici (selon nous) sous l’influence de la civilisation de Saltovo-Maïatzk, répandue dans le proche voisinage du bassin du Moyen-Donetz, sur le cours moyen et inférieur du Don, etc.

 

Sous l’influence exercée d’une part par les tribus slaves de la rive droite du Dnieper et d’autre part par la céramique de type Volyntzevo, la tour du potier commence à se répandre aux IXe—X 'siècles chez une partie des tribus slaves de la rive gauche du Dnieper, dans le groupe Romen. Ici de même que sur la droite du Dnieper la céramique modélée à la main coexiste avec celle confectionnée au tour. A l’Est du Donetz et du Don supérieur, dans les complexes de type Borševo, l’unique céramique attestée est celle modélée à la main et usant généralement du décor cordé [2].

 

Alors que dans le Sud avait lieu l’évolution que nous venons de décrire, au Nord, dans la zone délimitée par le bassin du Dnieper supérieur et le lac Ladoga, la céramique modélée à la main conservait presque les mêmes formes des siècles précédants. Mais au IXe siècle, en dehors des formes traditionnelles, l’on voit apparaître dans certains complexes des vases confectionnés à la main, avec l’ornement cordé de type Borševo. La céramique travaillée au tour ne devait apparaître ici qu’au Xe siècle [3].

 

L’on peut affirmer donc que grâce au contact avec le monde romain provincial, vers la fin du VIIe siècle et au siècle suivant la plupart des tribus slaves avaient renoncé graduellement à la céramique modélée à la main et en général sans ornement pour adopter la céramique confectionnée au tour, ornée de lignes horizontales et ondulées. Cette transition s’avère plus rapide dans les régions où les Slaves occupent les anciens territoires des provinces romaines et où ils ont pu entrer en contact direct avec une population romanisée et avec la civilisation romaine provinciale. Viennent ensuite les territoires voisins à ces régions. Le processus ralentissait à mesure qu’il avançait vers l’Est et vers le Nord.

 

 

1. I. I. Liapuşkin, К вопросу о памятниках волынцевского типа, in «Советская Археология», XXIX—XXX, 1959, р. 45 et suiv. ;

М. I. Braicevskii, Работы на Пастерском Городище в 1949 г., in «Краткие сообщения ИИМК», Moscou, XXXVI, 1951, р. 155 et suiv., publie quelques fragments céramiques de type Volyntzevo, très caractéristiques.

 

2. Pour cette raison et à juste titre une série d’archéologues soviétiques font une distinction séparant le groupe Romen du groupé Borševo, cf. exempli causa A. L. Mongait, Археология в СССР, Moscou, 1955, p. 323 et suiv., qui signale toute une série de différences en ce qui concerne le type d’habitation. Sur la carte de la p. 318, ils apparaissent également comme deux groupes distincts.

 

3. I. V. Stankević, Классификация керамики древнего культурного слоя Старой Ладоги, in «Советская Археология», XV, 1951, р. 219 et suiv.

 

 

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L’un des principaux caractères de la céramique des complexes slaves développés dans différentes régions européennes est constitué par les signes en relief, placés sur le fond des vases et généralement connus sous le nom de marques de potier. Dans certaines régions ces signes apparaissent plus rapidement, dès le VIIIe siècle, alors que dans d’autres régions ils se montrent plus tard au IXe, voire au Xe siècle. Nous avons montré dans une étude antérieure que la présence de ces signes sur des vases de haute époque féodale est en directe relation avec la pratique du métier du potier ; une bonne partie de ces marques sont nées durant le processus de cristallisation des relations féodales. Nous avons même essayé quelques explications en ce qui concerne leur origine [1]. Mais n’importe quelle serait leur signification dans le monde slave, l’origine de ces marques doit être cherchée toujours dans le monde romain. Des signes similaires, d'exécution identique à ceux de la céramique slave d’époque plus récente, ont été découvert dans le monde romain provincial de Pannonie et du Noricum, sur les pots d’usage commun d’origine celtique, ornés d’incisions, formant maintes fois des lignes horizontales et ondulées [2]. C’est pourquoi nous opinons que par leur contact avec le monde romain provincial de ces régions les Slaves ont pris aussi en plus du tour du potier, des formes et des motifs décoratifs de la céramique, ces signes placés sur le fond des vases.

 

Les signes en relief placés sur le fond des vases ont été diffusés de l’Ouest vers l’Est, en même temps que l’ornement de lignes ondulées et le tour du potier romain provincial, typique pour l'Europe centrale.

 

Compte tenu de l’analyse que nous venons de faire ci-dessus, il convient de mentionner que par le contact des Slaves avec le monde romain provincial {contact qui s’est perpétré, comme nous l’avons vu, sur des vastes étendues) les traits généraux unitaires de la céramique slave (gradištna keramika ou Burgwallkeramik) de l’époque qui a précédé et de celle contemporaine à la formation des États trouvent en bonne partie leur explication. Dans le cadre de cette grande unité, il y a certainement toute une série d'aspects comportant les différences constatées entre des régions plus ou moins grandes. Mais ces différences s'expliquent en grande mesure par les traits distinctifs propres à la culture matérielle des provinces romaines danubiennes, auxquels s’associent d’autre part la tradition autochtone spécifique aux Slaves des différentes régions. Il faut y ajouter aussi d’autres facteurs d’ordre social, économique et politique [3].

 

 

1. M. Comşa, О значении гончарных клейм раннефеодальной эпохи, in «Dacia», N. S., V, 1961, p. 449—461.

 

2. H. Mitscha-Merheim, Bodenseichen auf spätrömischen Tongefässen aus Mautern, N. Ö., in «Osterreichische Zeitschrift für Kunst und Denkmalpflege», XVII, 1963. B. Svobоda, op. cit., p. 107, a attiré lui aussi l'attention sur l’adoption par les Slaves des marques (estampilles) en relief du monde romain provincial du Moyen-Danube ainsi du reste que sur l’adoption de la céramique ornée de lignes ondulées. Il y a des signes en relief, exécutés de manière identique à ceux que l’on verra plus tard sur la céramique slave, dans le Sud-Ouest de la Pannonie, sur le fond des pots à décor incisé d’origine celtique mais datant de l’époque romaine.

 

3. Par exemple, dans le cadre des États slaves de haute époque féodale, grâce aux liens plus étroits d’ordre économique et politique, on arrive aussi à l'unification des traits généraux de la civilisation épanouie sur le territoire de ces États. L'on peut donc parler de la civilisation de l'État morave, de l'État de Kiev, etc. Mais au sein de cette unité née dans les limites d'un État, toute une série de variantes régionales et locales (manifestes dans la céramique aussi) se maintiennent, reflétant de vieilles traditions conservées par les unités sociales-économiques et politiques (tribus, unions tribales) entrées dans la composition de l'État respectif. Les traits communs qui dépassent les frontières de ces États sont dus à une origine ethnique commune qui suppose un mode de vie similaire et à une môme influence, par exemple, celle romaine provinciale.

 

 

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Le contact avec le monde romain a donné une impulsion particulière non seulement au métier du potier mais à la métallurgie aussi, surtout dans les régions où les Slaves avaient hérité des territoires des anciennes provinces romaines. Selon L. Niederle, les Slaves auraient emprunté aux Romains des outils perfectionnés (certains types de haches, de socs de charrue, de faucilles, etc.) [1]. L’opinion de L. Niederle, formulée il y a presque un demi siècle, est confirmée maintenant par de nouvelles découvertes [2].

 

En plus de la métallurgie du fer, l’influence romaine provinciale dans le monde slave se manifeste de manière pregnante dans la confection des objets de parure.

 

Nous n’allons pas analyser ici les parures empruntées par les Slaves sous l’influence du monde romain provincial et byzantin de haute époque, pendant leur expansion dans la péninsule balkanique, car le fait réclame une analyse de beaucoup plus ample. Nous nous bornerons à examiner les parures qui ont persisté jusqu’à l'époque de la formation des États et dont le développement a pris ensuite un essor particulier. Par exemple, les récentes recherches ont confirmé l’hypothèse concernant l’origine romaine provinciale (pannonique ou dalmatienne) de certains types de parures, des anneaux temporaux notamment [2]. Notons parmi ceux-ci les anneaux temporaux en forme de cercle ; ceux avec un pendeloque globulaire, à double tronc conique, ou bien fait d’un fil métallique sur lequel sont enfilées des perles, ceux avec le bout recourbé en demi cercle, qui se sont conservés tels quels jusqu’aux VIIIe—IXe siècles et de qui sont nés ceux avec le pendeloque en forme de méandres ou avec le bout tordu en «S», ceux avec le pendeloque cylindrique ou conique, fait d’un fil descendant en spirale, etc. [3] Tous ces types devaient connaître une large diffusion aussi chez les Slaves occidentaux, surtout chez ceux de Moravie, et chez les Slaves du Sud (fig. 5). Chez leurs frères d’Europe orientale, ces types de parures n’ont pénétré que de façon imitée, constituant plutôt une source d’inspiration dans la genèse de types nouveaux,

 

 

1. J. Járdanyi-Paulоvicz, Szalacska, a koposvölgyi rómaikori fémüvességi központ, in «Archacologiai Értesitö», 80, 1953, pi. XXX, A/1, 2, 5 ; Gr. Florescu, Expectatus Bujor et Ana Matrosenco, Săpăturile de salvare de ta Bumbeşti, in «Materiale...», IV, 1957, p. 115, pl. III, 17.

 

2. L. Niederle, op. cit., p. 88 et suiv. L'auteur insiste surtout sur les anneaux temporaux avec le bout en forme de «S», qui ont, selon lui, leur origine en Dalmatie romaine, d’où à une époque plus récente ils ont été empruntés par les Slaves. Mais les récentes recherches montrent que ces anneaux pouvaient tout aussi bien être empruntés par les Slaves en Pannonie, cf. Pekáry Tamás, Késörémai sírok Fenékpusztán, in «Archaeologiai Értesitö», 82, 1, 1955, p. 23, fig. 3/15.2; p. 24, fig. 4/25.3 et 26.2.

 

3. Ibidem, p. 22, fig. 2/11.1, 11.2; p. 23, fig. 3/15.1, 15.2; p. 24. fig. 4/23, 24.1, 24.2; 25.2, 25.3, 26.2; Intercisa, II, série Archaeologia Hungarica, XXXVI, 1957, pl. LXXIX/11—21 et 25—29, pl. LXXX/1—8, 10.

 

 

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originaux. Aux types d’anneaux temporaux d’origine romaine provincielle, au IXe—Xe siècles, à l’époque de la formation des États s’ajoutent d’autres types d’origine ou d’influence byzantine et, chez les Slaves de l’Est, d’influence orientale et asiatique aussi. Ces-derniers, avec le temps, allaient devenir eux aussi des prototypes, sources d’inspiration pour des types nouveaux.

 

Un autre objet de parure romain d’origine, qui devait arriver avec le temps à une large diffusion est celui constitué par les lunules [1]. Les formes les plus proches de celles romaines sont toujours celles des Slaves de Pannonie, de Moravie et du Nord de la péninsule balkanique, car chez les Polonais et les Russes elles ont subi (de même que les anneaux temporaux) toute une série de modifications, qui les distinguent des autres (fig. 6). Ces différences sont dues en partie au fait qu’elles n’ont pas été héritées directement du monde romain provincial, comme celles des territoires danubiens, et, selon nous, elles sont dues aussi à d’autres influences, qui demandent à être précisées par de nouvelles recherches.

 

Pour conclure, l’on peut affirmer que le contact direct ou indirect des Slaves avec le monde romain provincial a eu une influence particulière sur le développement de leur civilisation à l'époque qui a précédé, ainsi qu’à celle contemporaine à la formation des États. Sans diminuer l’importance du processus de développement interne de chaque région, on doit cependant de reconnaître que ce contact a favorisé, surtout dans certaines régions, un rythme plus rapide dans le développement des métiers — de la poterie et de la métallurgie des métaux notamment —, ce qui entraina l’accélération de l’épanouissement de la société, l’orientant vers la naissance des classes antagonistes et l’apparition de l’État.

 

 

1. Pour les lunules romaines cl. Pekáry Tamás, op. cit., p. 24, fig. 4/24.3; Intereisa, II p. 445, fig. 96, à laquelle s'ajoutent encore beaucoup d'autres.

 

 


 

 

Fig. 1. Pots romains-provincials à decor des lignes ondulées de Noricum (1—2, Bulgelsteinin Salz près Martin Hell) et de Pannonie (3 5, d'apres Eva Bonis).

 

 

Fig. 2. Céramique dace de l’époque de La Tène ornée de lignes horizontales et ondulées. 1, 3, 5, 6, Cuciulata (D’après Gh. Bichir); 2, 8, Sîncrăieni (D’après C. Preda); 4, Piatra Neamţ (D'après Anton Niţu et M. Zamoşteanu); 7, 9, 10, Sfîntul Gheorghe-Bedehaza (d’après K. Hоredt).

 

 

Fig. 3. Céramique ornée de lignes horizontales et ondulées de la Dacie, de l’époque romaine (1, 2, 4, 5) et post romaine, du IVe siècle (3). 1, Lechinţa de Mureş; 2, Caşolt ; 3, Cipău-«Gîrle» (pot apporté en Dacie par les Daces libres du Ouest); 4, Soporul de Cîmpie; 5, Breicu; (reproduits d’après D. Protase, Problema continuităţii în Dacia).

 

 

Fig. 4. Céramique ornée de lignes horizontales et ondulées de l’époque des migrations (1—10, travaillées au tour rapide, de tradition romaine provinciale; 11 12, modelées à la main, de tradition dace).

1, Smîrdanu-Gălăţui, fragment du pot du IVe siècle, appartenant à la civilisation Sîntana, de Mureş-Cernéakhov (fouilles de Maria Comşa); 2—5, pots appartenant à la civilisation de Moreşti-Bandu de la Transylvanie; (2, 3, 5), Bratei (d’après I. Nestor); 4. Moreşti (d’après K. Horedt); 6—12, Pots provenant des établissements des environs de Bucarest, appartenant à la civilisation de Ipoteşti-Ciurelu-Cîndeşti ; 6, Caţelu (d'après V. Leahu); 7—9, 11—12, Străuleşti (d’après Margareta Constantiniu); 10, Militari (d’après VI. Zirra et Gh. Cazimir).

 

 

Fig. 5. Anneaux temporaux romains provinciaux (I) de Pannonie (Fenékpuszta d’après Pékari Tamàs et Intercisa d’après Maria R. Alfoldi) et du haut Moyen âge qui se sont développés des prototypes romains provinciaux: II, chez les Slaves occidentaux; III, chez les Slaves du Sud; IV, chez les Slaves orientaux (les divers types sont reproduits des travaux de J. Poulik, Krystyna Musianowicz et Jivka Vîjarova).

 

 

Fig. 6. Lumules romaines (I) et slaves (II—III) : I, de Intercisa (d’après Stefan Jàrdànyi-Paulovics) ; II, connus chez les Slaves Moraves (d’après J. Poulik) ; III, caractéristiques pour les Slaves orientaux (d’après G. F. Korzuhina).

 

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