Romanoslavica I (1958) 

 

17. BULGARES, SERBES, GRECS ET ROUMAINS DANS LE MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE DE BRAILA DE 1841

C. Velichi

 

 

Cette étude représente en partie la communication que j’ai faite en Novembre 1956 à «l’Association des Slavistes de la R.P.R.» et son but a été de montrer la nécessité d’une étude intégrale des 3 mouvements révolutionnaires de Braïla de 1841, 1842 et 1843. Ces mouvements représentent le premier essai des Bulgares, des Grecs et des Serbes, émigrés dans les Principautés roumaines, pour déchaîner une révolte générale dans l'Empire ottoman en faisant passer des bandes armées de l’autre côté du Danube. C’est la suite naturelle des révoltes qui ont troublé l’Empire ottoman à partir de 1839 et se sont terminées par la grande révolte de Niş en avril 1841, révolte avec laquelle le mouvement de juillet 1841 de Braïla a des attaches étroites.

 

Le problème a une importance particulière non seulement parce qu’il met en évidence la lutte pour la liberté des Bulgares, des Serbes et des Grecs émigrés dans le Principautés roumaines, mais encore parce qu’il indique en même temps ses attaches puissantes avec les émigrés bulgares du sud de la Russie, une certaine participation roumaine et surtout l’aide puissante accordée par la Russie et qui intéresse dans une égale mesure autant l’histoire des slaves du sud du Danube, que leurs relations avec les peuples russes et roumains.

 

L’historien bulgare N. Traikov a d’ailleurs montré lui aussi la nécessité d’une telle étude qui doit éclaircir toute une série de problèmes qui se rattachent à ces mouvements.

 

En 1955 et 1956, au cours de mes recherches aux archives de Bucarest et de Braïla, j’ai réussi à trouver en dehors des dossiers se rapportant aux procès des révoltés—dossiers inconnus jusqu’à ce jour — de nombreux documents concernant ces mouvements. En me basant sur ces documents et sur les études antérieures existentes, j’ai composé une étude complète de ces mouvements et j’ai exposé les conclusions dans la communication que j’ai faite en Novembre 1956. Nous n’en extrayons ci-dessous que l’étude du mouvement de 1841.

 

La présente étude démontre clairement que c’est Miloş Obrenovici qui a ourdi ce mouvement —chose qui n’avait pas été affirmée d’une façon précise jusqu’à maintenant—elle élucide l’attitude des autorités roumaines de Braïla envers les révoltés, attitude qui avait été mal interprétée jusqu’ici et nous fixe grâce à des documents récemment découverts sur le sort des révoltés

 

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arrêtés et condamnés, sur l'acquittement de certains d’entre eux, sur l’expulsion des autres en Bulgarie et surtout sur l’expulsion en Serbie du commandant de la bande [1].

 

Nous ne pouvons insister ici, faute de place sur la formation de l'emigration bulgare en Valachie et en Moldavie. Mais ce que nous savons c’est qu’à Galatz et surtout à Braïla il y avait de nombreuses colonies bulgares. On y trouvait encore quelques Serbes et de nombreux Grecs qui étaient ouvriers, portefaix ou artisans ou bien qui faisaient du commerce dans ces deux ports du Danube visités par un nombre toujours croissant de navires. Certains de ces Serbes et de ces Bulgares avaient la nationalité autrichienne et le

 

 

1. Les français I. A. Vaillant et Elias Régnault sont les premiers A parler du mouvement révolutionnaire bulgare qui à eu lieu à Brâïla en 1811. Vaillant qui a été le contemporain de ces événements en a fait un court exposé dans «La Românie» II, Paris, 1844, p. 411—412. Dans son Histoire politique et sociale des Principautés danubiennes, Paris, 1855, p. 205 et suivantes, traduite aussi en roumain et imprimée à Iassy en 1856, Elias Régnault fait de même. Nous trouvons aussi un court rappel de ce mouvement dans les œuvres des auteurs russes : S. N. Palauzov, Румынския господарства Валахия и Молдавия, St. Pétersbourg, 1859, et de I. P. Liprandi, Болгария, Moscou, 1877.

 

En bulgare, il existe des récits plus détaillés de ces événements, qui ont été racontés soit par des témoins oculaires ou bien ont été recomposés d’après eux par des tierces personnes. Citons en premier lieu l’ouvrage du dr. Vasile H. Stoianоv-Beron, Археологически и исторически изслѣдования, Tîrnovo 1866, dans lequel les dates et les noms des personnes qui se rapportent à ces 3 mouvements insurrectionnels bulgares de Braïla sont embrouillés. D'après Beron, G. S. Rakovski serait le héros du mouvement révolutionnaire de 1841, quand en réalité il apparait dans le second mouvement révolutionnaire bulgare de Braïla en 1842.

 

Les mêmes erreurs se retrouvent aussi dans d'autres ouvrages utilisant différents souvenirs ou s'empruntant les uns aux autres les éléments de leurs récits, parmi lesquels nous citerons G. Kotev, Единъ случай отъ живота на Раковски. Браилското възстание и нѣговитѣ сѣтнини, dans son Българскіи народенъ календаръ за 1890 година, Sofia, 1890, ouvrage utilisé par C. Popov. Чърти изъ живота на Сава С. Раковски, Roustschouk, 1893. L'ouvrage de Iv. P. Agenov, Записки изъ живота на Георги Стоиковъ Раковски, Roustchouk, 1894 ei 1896 se rapproche des autres. Presque tous les ouvrages cités ci- dessus oat été utilisés dans son ouvrage de synthèse par G. Dimitrov, Княжество България, II, Plovdiv 1896 et ensuite par le Dr. Bobi Petrov dans Биография на Георги Стоиковъ Раковски, Sophia, 1910.

 

Le premier ouvrage roumain qui traite les mouvements révolutionnaires de Braïla est celui du Colonel D. Papasoglu, Istoria fondării oraşului Bucureşti capitala regatului romîn, de la anul 1330 pînă în 1850, Bucarest, 1891.

 

Papasoglu était capitaine dans le régiment de Braïla dont les soldats avaient jugulé i'émeute. Il n’y a pas pris part parce qu’il avait été envoyé à Zimnicea d'où il n'était revenu qu'un jour après les bagarres du port. Papasoglu raconte ses souvenirs et à l'exception de la confusion qu'il fait pour le héros principal du mouvement — Rakovski — son exposé est en général juste. Les détails qu'il donne sur l'attitude de l'armée avant et pendant les bagarres, sont extrêmement précieux, car il a du les apprendre immédiatement par ses camarades. Le fait que Rakovski a été le héros de la seconde insurrection de Braïla (1842) explique la confusion faite par presque tous les auteurs qui relatent la première insurrection (1841) et parmi lesquels se trouve aussi Pappasoglu.

 

Les premiers documents relatifs au mouvement insurrectionnel de Braïla ont été découverts par N. Iоrga, Studii şi documente cu privire ta istoria Romînilor, Bucarest, 1906, p. 248—250, qui publie les 3 lettres du Prince Ai. Ghica adressées au Colonel Odobescu qui avait été envoyé à Braïla pour enquêter sur ces évènements. С. С. Manu a publié un autre acte relatif au même mouvement dans: Documente din secolele XVI—XIX-lea privitoare la familia Manu, Bucarest, 1907. Ioan C. Filittia publié d'autres documents dans: Documente din epoca regulamentară, paru dans Revista de istorie, arheologie şi filologie, XI, (1). Bucarest 1910, p. 192—201. C'est Filitti aussi qui a publié le premier ouvrage paru sur l'insurrection de Braïla et basé sur des documents: Turburări revoluţionare In Ţara Romînească Intre anii 1840—1843, dans les An. Ас. Лот. Alem. Seci. Ist. série II. Tom. XXXIV, Bucarest, 1912. Les documents utilisés par lui ne comprennent pas uniquement les documents ci-dessus, il se sert surtout des copies des rapports consulaires conservées par l'Académie roumaine ainsi que des documents roumains des Archives du Ministère des Affaires étrangères de Bucarest. Mais tous les ouvrages bulgares cités plus haut n’ont pas été utilisés par Filitti.

 

St. Romanski nous a donné sur les insurrections de Braïla de 1841 un ouvrage plus complet et basé sur la majorité des documents et études parus jusqu'alors et sur des documents inédits : Браилски историки 1841—1843. Студий и документи отъ Стоянъ Романски, I, Българска възстаническа чета оть 1841 год, în Сб. Б. A. H. III, Sophie. 1914, р. 1—143.

 

En 1906 déjà N. lorga lors de la publication des premiers documents sur les insurrections de Brăila exprime l'opinion que des documents officielles roumains relatifs à ces insurrections doivent exister aux Archives de l'Etat. Le dossier (Arh. Stat. dosar adm. noi. 989/1841 — Delă după raportul ocîrmuirii dă Brăila pentru alcătuirea unui număr de sîrbi în oraş voind a trece în Turcia înarmaţi) a été trouvé par l'académicien St. Romanski qui a publié les actes les plus importants dans son étude citée plus haut. Il a copié ensuite aux archives de Vienne tous les rapports diplomatiques se rapportant au mouvement insurrectionnel de Braïla. C'est à dire: les rapports envoyés à Metternich par l'agent diplomatique autrichien à Bucarest Timoni, ceux de Huber, consul autrichien de Galaţi adressés a Timoni, les rapports de l’agent autrichien de Brăila Sgardelli adressés à Huber, celui que le baron Sturmer, internonce autrichien à Constantinople a adressé à Metternich, les rapports faits par Huber à Sturmer et le rapport adressé à Metternich par l'ambassadeur d'Autriche à Pétersbourg, Meysenburg. St. Romanski a également utilisé en partie les rapports que Billecocq, consul général français à Bucarest a adressés à Guizot et dont les copies se trouvaient à l'Académie roumaine et les a publiés dans l'étude dont nous avons parlé et qui est une bonne relation des évènements de Brăila de 1841. Cette étude de l'académicien Romanski parue en 1914, avait été remise dès 1913 à l'Académie bulgare pour publication. C'est pourquoi il n'a pas pu utiliser le volume XVII de la collection Hurmuzaki qui publie la même correspondance diplomatique française, avec en plus d'autres documents que Romanski n'a pas utilisés.

 

En 1915 I. C. Filitti publie son ouvrage intitulé: «Domniile Romîne sub Regulamentul Organic 1834—1848», dans lequel il fait un bref résumé des évènements de Braïla tels qu'il les expose déjà dans son ouvrage de 1912 (Turburări revoluţionare. ..) mais sans se servir de l'ouvrage de St. Romanski ou des autres ouvrages bulgares.

 

En 1918 on a publié dans la revue bulgare «Свѣтлина Илюстрация», (XXVI, kn. III, IV—V şi VI) les souvenirs de Tzani-Ghincev (1832—1894). Ghincev a habité à Odessa avec Rakovski qui lui a raconté les évènements de Braïla.

 

Utilisant aussi les informations que d'autres contemporains lui avaient données. Ghinccv a écrit ses mémoires en 1894, mémoires qui n’ont été publiés intégralement que 57 ans après. Des erreurs et des confusions s'y sont glissées aussi. (Voir Dî Mincev , — Браилскиятъ бунтъ прѣзъ 1841 година, по спомени на Цани Гинчевъ, Sofia, XV. 1941, 9, р. 557—558.

 

M. Popescu a publié lui aussi des documents sur le même mouvement insurrectionnel dans: Documente inedite din preajma unirii Principatelor, Buc., 1928, ainsi que D. Bodin dans les Nouvelles informations sur les mouvements révolutionnaires roumains et «sclavons» de Crаiova, Galatz et Βraïla de 1840—1853 dans «Balcania (VI) Buc. 1943, p. 169—200. On peut également trouver des informations documentaires dans un autre ouvrage du même auteur: Documente privitoare la legăturile economice dintre Principatele romîne şi regatul Sardiniei, Bucureşti 1941.

 

Dans les principaux ouvrages de synthèse de A. D. Xenopol et de N. Iorga, les mouvements révolutionnaires de Braïla sont redonnés d’une façon extrêmement confuse et sommaire, four le premier mouvement nous trouvons dans l'ouvrage de synthèse de A. D. Xenopol, Istoria Romînilor, XI. ed. III, Buc., (1930) uniquement ces quelques lignes:

 

«En 1841, exactement, une grande agitation commence à régner parmi les Serbes et les Bulgares. Cette agitation qui selon les rumeurs devait se combiner avec un mouvement en Valachie avait pour but de renverser Chica. Le Prince prend immédiatement des mesures très énergiques pour défendre son trône et fait arrêter plusieurs personnes soupçonnées de complicité dans le complot: Filipescu, Marin, Bălcescu, Sotir, le professeur de philosophie Murgu, César Boliac, Vaillant, impliqué lui aussi dans l’affaire et qui n’échappe que grâce à la protection du consul français qui le fait passer en Moldavie. Et on renvoie le lecteur aux ouvrages de Régnault, Vaillant et Filitti. La confusion entre le complot roumain de 1840 et le complot bulgare de 1841 est ici évidente.

 

Dans l'Histoire des états balcaniques à l'époque moderne, Bucarest, 1914, p. 288—290 et ensuite dans l’Histoire des états bakaniques jusqu’en 1924, Paris 1925, p. 307—310, Iorga confond entre eux les deux premiers mouvements révolutionnaires de Braïla qu'il redonne en 2—3 pages d’une façon tout à fait sommaire.

 

Eu 1935 dans la «Revista Fundaţiilor Regale», II, P. 1—21, Iorga présente un article sur les «Memorii de militar», ouvrage de Pappasoglu déjà cité et qui est une des principales sources d’informations sur les mouvements révolutionnaires. Ce sont ces «mémoires» de Pappasoglu qui sont la cause de la confusion faite par Iorga et qu’on retrouve aussi dans son oeuvre de synthèse «Istoria Romînilor» IX, Bucarest, 1938, où il présente d’une façon erronée et en 2 pages seulement le premier mouvement révolutionnaire (p. 31—33), et cela malgré la mention faite dans une note de l’ouvrage de Filitti et des études de Romanski de 1914 et de 1921. De l’exposé proprement dit, autant que des notes, il ressort toutefois clairement que Iorga n’a pas utilisé les ouvrages du savant bulgare.

 

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vice-consul d’Autriche, Atanasovici, s’employait à diminuer leur nombre le plus possible et à expulser les plus turbulents. En échange son successeur Huber, qui était vice-consul à Galatz en 1841 et son agent Sgardelli, s’étaient constitué avec ces réfugiés balcaniques un véritable parti.

 

Ces Serbes et ces Bulgares avaient volé en plein jour, avec l’approbation de ces deux agents, 127 «chile» (mesure pour les céréales) de blé appartenant à un négociant piémontais et l’avaient chargé sur un bateau autrichien. Ils étaient prêts à répondre au moindre appel du vice-consul Huber ou de son agent Sgardelli, et troublaient souvent la tranquillité du port. Une autre querelle survenue entre Serbes, Bulgares et Grecs (à Galatz seulement il y

 

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en avait environ 6.000) [2] fut aplanie avec beaucoup de difficultés par le protecteur de ces derniers, le vice-consul anglais Cunningham [3].

 

Un de. ces rapports consulaires parle de ces quelques milliers de Grecs de Galatz et de Braïla et qui, à cause des révoltes de la Crète suivaient avec sympathie celles des bulgares et des Serbes. Mais parmi eux tous c’étaient les Bulgares qui étaient les plus nombreux et les mieux organisés.

 

Tous ces émigrés qui sentaient entre eux le lien d’un sort commun qui les avait réunis ici et auquel ils devaient d’avoir fui leur patrie asservie par les Turcs, suivaient avec attention les moindres gestes de leurs conationaux d’au-delà du Danube.

 

Dès la fin du printemps de 1841, la police de Galatz, qui à la suite d’un arrêt temporaire de la vie commerciale du port, avait été amenée à surveiller tout particulièrement les marins et les portefaix sans travail qui se livraient au pillage, avait remarqué quelques personnes suspectes qu’elle surveillait de près. L’une d’entre elles était un capitaine serbe nommé Miloia Stanislavovici, qui, accompagné de quelques personnes inconnues, «vêtues de costumes grecs», rendait de fréquentes visites aux négociants de la ville (originaires de Braşov), et achetait des armes et de la poudre en grande quantité ce qui prouvait qu’il disposait de sommes importantes [4]. Ce capitaine connu aussi

 

 

2. Voir le rapport de Huber dans Romanski, ouvr. cité, p. 103.

 

3. D. Bodin, Documente, p. 71—74.

 

4. Rapports de Huber adressés à Tlmoni et à Sturmer, dans Romanski, ouvr. cité, p. 78-81, 96-98.

 

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sous le nom de Vladislav Tatici, circulait également vêtu de l’uniforme serbe, qu’il avait d’ailleurs le droit de porter. Né en Serbie, il avait fait partie de l’armée du prince Miloş et avait obtenu de lui le grade de capitaine [5]. Il avait ensuite accompagné le prince lorsque celui-ci s’était établi en Valachie et il était resté quelque temps à Bucarest. Mis en prison pour dettes (1840), Tatici n’avait recouvré sa liberté que grâce au négociant Gopievici, qui après avoir payé ses dettes l’avait finalement amené avec lui à Brăila. Au début de Juillet 1841 il venait souvent à Galatz avec des actes signés par le prévôt russe de Brăila. Disposant de grosses sommes d’argent, il avait commencé à recruter des hommes pour un mouvement révolutionnaire en faveur des Bulgares. C’était d’autant plus facile à réaliser, que les Grecs qui avaient eux aussi leurs révoltes en Asie Mineure et dans les Iles de la Mer Egée sympathisaient avec la cause bulgare.

 

En peu de temps Tatici arrive à recruter 70 hommes [6]. En dehors de cela il faisait aussi de fréquentes visites au vice-consul russe de Galatz Karneev, chez qui un autre vieux révolutionnaire, le major Makrievici [7], avait trouvé asile.

 

Toutes ces activités l’ayant rendu suspect, Ghica le préfet de la ville prit toutes mesures pour prévenir un péril éventuel. Le consul autrichien et lui interdirent aux négociants autrichiens de vendre dorénavant à qui que ce soit des armes et de la poudre sans autorisation spéciale et en même temps ils établirent un inventaire de ces marchandises. Tatici qui devait être arrêté pour investigations réussit toutefois à fuir à Brăila en emportant toutes les armes et toutes les munitions qu’il avait pu acheter jusqu’alors [8]. Ghica et le général Lăfescu chef de la milice prirent alors toutes les mesures nécessaires au maintien de l’ordre. Les forces de milice qui étaient de 400 hommes furent portées à 700. Grâce à ces mesures à peine quelques-uns des 70 hommes enrôlés à Galatz purent atteindre Brăila. Parmi eux se trouvaient Gheorghe Săndulache et Tănase Ivan tous deux de Galatz ainsi que Costache Dimitriu de Focşani [9]. La plupart des membres de la bande ne réussirent pas à atteindre Brăila et d’autres bulgares qui arrivaient de l’intérieur du pays et qui étaient armés furent arrêtés [10]. Les préfets de districts furent prévenus d’avoir à veiller au maintien de l’ordre. La police était sur les traces des agents qui se trouvaient dans les districts de Bacău et de Neamţ afin de se livrer à des recrutements clandestins car on avait découvert dans ces régions une ramification de la conspiration. On suppose qu’en dehors des Bulgares, des Roumains aussi se seraient inscrits et qu’ils auraient touché pour ce faire 180 piastres et reçu des armes. De toute façon Mihail Sturza avait déclaré au «Divan» qu’il était prêt à partir à Galatz pour se mettre le cas échéant [11] à la tête des troupes. C’est ainsi qu’on s'explique pourquoi la révolte n’a pas éclaté aussi à Galatz,

 

 

5. D’après les rapports de Sgardelli, Tatici n’aurait pas eu le grade de capitaine, et il n’aurait été qu’un simple domestique renvoyé par le prince Miloş et qui se serait fait passer pour «ancien officier serbe». Voir le rapport dans Romanski, ouvr. cité, p. 75.

 

6. Hurmuzaki, Documente, XVII, p. 821.

 

7. Ibidem.

 

8. Filitti, Turburări revoluţionare, p. 286.

 

9. Arch. de l’Etat, Bucarest, Dos. Adm. 2612/1840 (p. 401, 403, 408).

 

10. D. Bodin, Documente, p. 185—186.

 

11. Hurmuzaki, Documente, XVII, p. 821—822.

 

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quoique, comme on l’a appris plus tard, le mouvement devait commencer partout simultanément [12].

 

Cependant à Braïla ce n’était pas Tatici mais le bulgare Vasile Ciardakliev [13] qui n’était autre que le capitaine Vasile Vîlkov, dont il sera question aussi dans les révoltes qui suivront plus tard, qui était considéré comme le véritable chef.

 

Originaire de Kotel, Vasile Ciardakliev avait pris part à la guerre russo-turque de 1828—1829; il s’était replié à Brăila [14] avec les troupes russes et avait reçu la nationalité roumaine après avoir été citoyen russe pendant quelque temps. En 1836 il avait obtenu de nouveau la nationalité russe. Depuis la guerre il portait le nom de capitaine Vîlkov mais il ne faut pas le confondre en tous cas avec le comte Vasoievici «comme le croyait le général von Hauer» [15]. On suppose que c’était lui qui faisait la liaison avec les bulgares qui se trouvaient à l’intérieur du pays et qu’il disposait de «ressources vraiment effrayantes en argent, en armes, en poudre et en insurgés».

 

Il était bien connu à Braïla où il avait travaillé chez le commerçant Hagi yonitza Procopiou. Ce n’est qu’au dernier moment que Tatici avait pris le commandement à sa place pour hâter le mouvement qui aurait dû commencer en Août [16].

 

En compagnie de Tatici, Vîlkov commence d’abord en secret et ensuite au grand jour à recruter des volontaires. Le 11 Juillet, au moment où les dirigeants de Brăila se rendirent compte de la situation, les inscriptions continuaient au vu et au su de tout le monde. Immédiatement I. St. Rusescu qui remplaçait le préfet Slatineanu mit le «departement de l’intérieur» au courant, et prit d’un commun accord avec les autres autorités, les premières mesures. Par malheur le nombre des soldats de la garnison était des plus réduits et ne dépassait pas 30 hommes. Peu de temps avant, à cause des révoltes de l’Empire turc (Niş 1841) les soldats de la garnison de Braïla avaient été répartis dans tous les ports danubiens de la Valachie pour surveiller la frontière du côté turc et leur nombre était surtout plus élevé à Zimnicea qui comptait beaucoup de bulgares habitant Alexandria et Mavrodin qui en était voisin. Le commandant R. Golescu et le lieutenant Pappasoglu se trouvaient là — bas avec une partie des soldats [17]. C’est pourquoi on décida de ne pas attaquer les volontaires mais de procéder avec «douceur».

 

C’était aussi l’avis des citadins et les consuls étrangers [18] eux-mêmes croyaient que c’était mieux ainsi. Le pont de Vădeni fut interdit à la circulation afin de couper les communications entre les rebelles et Galatz.

 

Le même jour, vers le soir, les rebelles affichaient dans un des grands cafés considéré comme le casino de la ville, une proclamation adressée aux dirigeants

 

 

12. Rapport de Huber dans Romanski, ouvr. cité, p. 102.

 

13. A. Savich, Memoriile căpitanului Vasile Vîlkov, Braïla. 1872, p. 3.

 

14. A. Savich, ouvr. cité, p. 51 et suivantes.

 

15. Romanski, Австрийски документи по Нишкото българско възстание отъ 1841 година, 1841, dans Сб. Б.А.H. Sophie, 1912, р. 169—172.

 

16. Les émissaires étrangers avaient cherché jusqu’alors à faire la liaison entre les Bulgares de Moldavie et ceux de Valachie. Voir le rapport de Timoni dans Romanski, ouvr. cité, doc. 11, cf. Filitti, Turburări revoluţionare, p. 234—235).

 

17. Filitti, Turburări revoluţionare, p. 287, Pappasoglu, ouvr. cité, p. 148.

 

18. Romanski, Браилски Историйки, doc. 39, p. 118, et doc. 42, p. 120.

 

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de Braïla. Ecrite en roumain, cette proclamation déclarait que le nombre des volontaires était de 1.200 hommes et que ceux-ci étaient rassemblés afin de passer, «pour leurs propres besoins» en Turquie. Elle déclarait plus loin que, s’ils n’étaient pas inquiétés les rebelles ne feraient de mal à personne. Dans le cas contraire ils auraient recours à la violence car «il leur était égal de vivre ou de mourir» [19].

 

En uniforme et accompagné d’une trentaine de bulgares armés, Tatici parcourut alors la ville et s’enferma ensuite avec ses volontaires dans une maison particulière.

 

L’apparition de cette bande armée provoqua dans la ville une profonde impression et les turcs ainsi que les grands commerçants qui s’y trouvaient commencèrent à se sentir inquiets surtout quand ils apprirent que les autorités n’étaient pas encore en mesure d’intervenir.

 

D’un autre côté Tatici avait annoncé qu’il attendait aussi d’autres renforts. Six cents hommes devaient venir de Galatz, 300 autres de Bîrlad et on attendait des volontaires de Focşani et d’ailleurs [20]. A 11 heures du soir, Busescu faisait connaître au Ministère toutes les mesures qu’il avait prises et lui envoyait une copie de la proclamation des insurgés [21]. La maison dans laquelle Tatici s’était réfugié avec ses camarades fut cernée, mais malgré cela on ne permit pas aux autorités qui voulaient s’entretenir avec Tatici, d’y pénétrer et elles non plus ne trouvèrent pas opportun d’avoir recours à la force. La maison resta bloquée toute la nuit par les 30 soldats. Les consuls étrangers demandèrent aux autorités de prendre immédiatement des mesures pour rétablir l’ordre, mais celles-ci répondirent que cela leur était impossible pour le moment. Le lendemain, samedi 12 Juillet au matin, le consul autrichien et le vice-consul grec intervinrent d’ailleurs à nouveau pour calmer les révoltés mais cette intervention n’eut pas d’effet non plus.

 

Les rapports envoyés par Rusescu à Bucarest étaient jusqu’à présent les seuls documents roumains connus révélant l’attitude des autorités de Braïla et les mesures prises par elles pour calmer l’émeute.

 

A la suite des recherches faites aux Archives de l’Etat à Braïla, j’ai trouvé la correspondance échangée entre les dirigeants et les autres autorités locales ainsi que celle adressée au commissaire de Turquie — Sali-Aga — et aux agents des puissances étrangères.

 

Cette correspondance renferme des indications supplémentaires qui complètent les rapports de Rusescu et font la lumière sur toutes les mesures prises jusqu’au 13 Juillet au soir, moment où les bagarres du port ont eu lieu. Le manque de place ne nous a pas permis, dans cette étude de les reproduire autrement que dans leurs grandes lignes. Ce que nous devons absolument mentionner c’est que, à la suite des discussions qui ont eu lieu entre le capitaine Tatici et les autorités de Braïla, celles-ci ont accepté de délivrer des passeports à deux ou 3 personnes à la fois, mais non pas en même temps à tout le monde, ce qui aurait signifié un acte d’hostilité envers la Porte. D’un autre côté il est évident

 

 

19. Voir le manifeste des volontaires dans le «Buletinul oficial al Ţării Romîneşti», no. 42, du 23 Juillet 1841.

 

20. Leur nombre devait atteindre 2000 hommes. Voir le rapport de Sgardelli dans Romanski, ouvr. cité, p. 76—77. Voir aussi le rapport de Huber à la p. 100.

 

21. Ibidem, p. 119-120.

 

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que Rusescu avait donné l’ordre de bloquer la maison dans laquelle se trouvaient les volontaires en prévoyant même l’emploi de la force mais sans préciser le jour et l’heure de l’attaque.

 

En fait, Rusescu aurait voulu que ce soit le capitaine Manu qui attaque, sans toutefois lui donner l’ordre précis de le faire pour être à l’abri des responsabilités en cas d’échec. Puisque malgré les demandes repétées du capitaine Manu, cet ordre écrit ne lui fut pas donné, l’attaque de la maison n’eut pas lieu non plus, ce qui provoqua dans la ville une panique grandissante.

 

La nouvelle de l’émeute était parvenue à Galatz d’où des agents consulaires commencèrent à arriver pour observer les évènements. Le vice-consul russe Karneev qui connaissait Tatici, celui-ci lui ayant rendu visite à Galatz fut celui qui put entrer dans la maison dans laquelle les émeutiers étaient bloqués. A la suite d’une entretien resté secret, Karneev fut d’avis de lever le siège et de laisser tranquillement passer les insurgés en Turquie [22], En l’absence d’un ordre écrit des dirigeants, pressé par les consuls étrangers, influencé par le viceconsul Karneev et prié par les commerçants de la ville qui craignaient le pillage et l’incendie, le capitaine Manu n’ayant avec lui que 30 soldats qui n’avaient plus été relevés de leur poste depuis 24 heures, s’entendit «de vive voix» avec Rusescu et leva le siège dans l’après-midi du 12 Juillet.

 

A partir de ce moment et jusqu’au lendemain soir (13 Juillet), moment où les bagarres du port eurent lieu, Tatici aurait pu en fait s’emparer de la ville.

 

Le 12 Juillet au soir, cent autres volontaires se réunirent à la grande auberge de Petru Boiangiul et Tatici y vint aussi avec sa bande.

 

Beaucoup de monde s’était rassemblé devant l’auberge et l’enthousiasme ne faisait que croître continuellement parmi les Bulgares de la ville. Le fait que les autorités n’intervenaient pas, qu’elles traitaient avec les insurgés en les laissant circuler librement dans la ville pour acheter des armes et surtout la protection que Karneev leur avait accordée, décida beaucoup de jeunes Bulgares à passer du côté de Tatici. Les plus pauvres d’entre eux recevaient immédiatement de l’argent (2—4 ducats) et des armes. Quant au capitaine Vîlkov il ne se montrait nulle part. On attendait aussi les volontaires qui devaient arriver des autres villes comme Bucarest, Ploieşti, Buzău et autres Le nombre des volontaires attendus s’élevait d’après Huber [23] à 2000 hommes qui disposaient d’importants moyens financiers déposés à Ploieşti.

 

C’élaient surtout les Bulgares qui s’inscrivaient dans les rangs des volontaires. Il parait d'ailleurs que Tatici ne voulait accepter que des Bulgares, des Grecs ou des Serbes. Cependant quelques Roumains s’inscrivaient aussi. Parmi eux se trouvait : lonitza Manea de Bucarest qui était «employé aux écritures au Tribunal de commerce de Brăila». Le petit nombre des Roumains inscrits n’est pas dû au fait que Tatici n’acceptait que des Bulgares, des Serbes et des Grecs, mais aux mesures prises par les autorités. Sur les places de la ville, de grandes affiches informaient le public que certains de ceux qui s’étaient ralliés aux ignobles agitateurs voulaient acheter des armes et on y précisait encore que tous ceux qui se trouveraient avoir donné, prêté on vendu

 

 

22. Voir le rapport du consul Bottaro Costa, dans D. Bodin, Nouvelles Informations, p. 184.

 

23. Voir le rapport cité de Huber (p. 100).

 

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des armes, aux volontaires, seraient condamnés [24]. Parmi les Lipovans non plus on n’avait par recruté d’hommes ainsi que le craignait Rusescu. Mais les inscriptions de volontaires continuaient sans que les autorités intervienent pour les arrêter. Les volontaires visitaient les commerçants de la ville chez lesquels ils étaient bien accueillis parce qu’ils ne leur prenaient pas l’argent de force et parce qu’ils payaient tout ce qu’ils achetaient. Le quartier général des volontaires établi à l’auberge de Boiangiu était d’ailleurs fréquenté par nombre de leurs compatriotes qui leur apportaient des armes et de l’argent : on a appris plus tard que les balles des volontaires avaient été fabriquées dans la cave de Panaïot Ivanov, Bulgare de Braila.

 

Malgré le calme qui avait régné dans la nuit du 12 au 13 Juillet Tatici ayant organisé des patrouilles pour le maintien de l’ordre, patrouilles qu’il contrôlait lui-même, la panique était grande dans la ville car personne ne pouvait savoir de quelle façon les évènements allaient se dérouler. Les turcs les plus fortunés ainsi que les commerçants étrangers avaient emmené leurs familles et leur avoir au Consultat autrichien.

 

Dimanche matin, Tatici qui avait engagé le bateau du grec Balduridi de Salonique eut encore une conversation avec Karneev. Dans l’après-midi, du même jour il eut une conversation secrète avec un envoyé spécial venu de Galatz qui repartit par le bateau avec lequel il était venu. On disait qu’un nommé Kaliniera, citoyen russe, que personne ne connaissait devait recevoir le commandement suprême. Une autre rumeur courait aussi selon laquelle les volontaires devaient capturer dans le port un vaisseau turc qui avait huit canons à bord. Tatici non plus n’avait pas pris de décision sur l’action immédiate à entreprendre. Le samedi suivant les dirigeants de Brăila savaient que les volontaires avaient renoncé à passer en Turquie et qu’ils étaient décidés «à partir pour les «Principautés». Le lendemain dimanche ou sut d’une façon plus précise qu’ils ne traverseraient pas le Danube mais on ne pouvait préciser la direction qu’ils avaient l’intention de prendre.

 

Le consul autrichien de Galatz, Huber, avait appris que le plan des insurgés était de partir par Galatz à Reni où ils devaient recevoir des renforts et de débarquer ensuite à Isaceea où ils espéraient soulever la population grecque et bulgare de la petite ville [25]. Il parait qu’un commandant russe se serait trouvé à Galatz au moment où les volontaires s’enrôlaient et qu’il serait parti à Reni quand il a vu que les autorités avaient déjoué le plan des comploteurs [26]. Il y avait une autre probabilité aussi et c’était celle du départ des volontaires par Ploieşti vers Turnu Măgurele. Toutefois rien n’était sûr, les dirigeants de Braïla disaient en parlant des volontaires : qu’ «à cause de leur indécision on ne pouvait comprendre autre chose qu’un affligeant égarement, cause de désordre».

 

 

24. Archives de l’Etat, Braïla Préfecture, Dossier 240/1841, p. 25.

 

25. Ibidem, p. 104.

 

26. Hurmuzaki, Documente, XVII, p. 321.

 

(Le 13 Juliet au moment où les volontaires se préparaient à partir, les autorités de Braïla prévenaient la préfecture de Galatz qu’il y avait une possibilité pour que ceux-ci se dirigent vers le port moldave. Le même jour, la préfecture répondait, montrant qu’elle avait pris ses dispositions et elle offrait même une aide armée. Arch. de l’Etat, Braïla, Dos. 246/1841. f. 20, 58, 81.

 

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Le bruit courait aussi qu’en l’absence de forces suffisantes, les autorités de Braïla auraient fait appel aux turcs d’au-delà du Danube et que ceux-ci, vêtus d’uniformes roumains étaient sur le point de traverser le Danube pour attaquer les volontaires.

 

Pour les dirigeants de Braïla, la situation était claire; il fallait empêcher la bande de volontaires de traverser le Danube sans l’autorisation du gouvernement. Dans ce but, le colonel Engel, avait envoyé en hâte des courriers pour ramener dans la garnison les troupes dispersées. Jusqu’à leur venue, on fit appel aux soldats et aux paysans des villages voisins [27], qui arrivèrent immédiatement à Braïla. Dans le port, le capitaine Manu devait à tout prix empêcher le départ de la bande. Puisque Tatici n’était pas décidé sur la direction qu’il allait prendre, les autorités de Braïla prévinrent les autorités des autres districts d’avoir à prendre toutes mesures nécessaires pour le cas où ces volontaires passeraient par leurs régions [28]. De son côté, Sali-Aga, commissaire turc à Braïla avait prévenu le pacha de Silistra qui avait pris des mesures. Il ressort des informations que nous possédons, que les Turcs avaient réussi à faire tous les préparatifs à temps et au cas où les Bulgares auraient réussi à traverser le Danube ils se seraient trouvés devant des forces armées régulières.

 

Les informations que nous possédons sur les résultats des tratatives qui ont eu lieu avant les bagarres qui éclatèrent ensuite dans le port, sont contradictoires. Pendant toute la journée du 13 Juillet, des pourparlers curent lieu entre les autorités et les volontaires et jusque dans l’après-midi de ce jour les autorités étaient encore décidées à les arrêter par la force. C’est ce qui a été rapporté aussi au département de l’intérieur le 13 Juillet [29] et certains rapports consulaires [30] disent la même chose. Mais le soir quand les volontaires se rassemblèrent pour descendre dans le port, leur nombre étant monté à 284 hommes armés et lorsqu’une foule de 2000 personnes se mit à les acclamer, les autorités eurent l’air d’hésiter. Le rapport de Sgardelli, dont on a montré plus haut les relations avec les volontaires et en particulier avec les Serbes et les Bulgares de Braïla, affirme qu’à la demande de Tatici, les autorités lui auraient permis de partir ce qui est difficile à croire. Pappasoglu montre clairement que le policier de la ville était allé à l’auberge où les volontaires se trouvaient rassemblés, pour leur communiquer de ne pas descendre dans le port, jusqu’au moment où viendrait de Bucarest l’autorisation de leur délivrer des passeports en règle. Autrement, ils se rendraient coupables de violation de la loi et ils seraient dans ce cas attaqués par le garnison de la ville [31]. Mais on peut croire les affirmations de Huber qui montre que, à la demande du même Tatici,

 

 

27. Ibidem, f. 57.

 

28. On avait pris des mesures dans les districts de H. Sărat, Prahova, Mehedinţi etc. Le 15 Juillet on avait gardé à la quarantaine de Călăraşi, 14 bulgares de la région de Lozengrad, venus dans le pays avec des passeports turcs, pour taire du commerce. Comme ils étaient à cheval et qu’ils avaient des armes, on les avait retenus pour enquête. A Turnu Severin aussi, 2 bulgares de Galatz qui voulaient passer en Serbie et qui avaient des actes i grattes et effacés t furent retenus. Des arrestations ont été faites à Ploeşti. Voir Filitti, ouvr. cité, 230—31 et Hurmuzaki, Doc. XVII, p. 820—821.

 

29. Voir le rapport de Rusescu dans Romanski (Doc. no. 43) p. 121.

 

30. Francesco Botta, dans Bodin, Nouvelles informations, p. 185.

 

31. Voir le rapport dans Romanski, ouvr. cité, p. 77—78, et Pappasoglu, ouvr. cité, p. 154.

 

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l’officier roumain de garde à la quarantaine, lui aurait promis de lui en ouvrir les portes [32], pour des raisons que nous verrons plus bas.

 

D’autre part, les négociants de la ville qui craignaient le pillage, faisaient fortement pression sur les autorités, insistant pour que celles-ci laissent partir les volontaires pour en être débarrassés. Il paraîtrait que c’est alors que les autorités leur auraient promis de les laisser descendre dans le port pour les isoler de la ville [33]. Le rapport des dirigeants de Braïla, envoyé immédiatement après le choc (le 14 Juillet) montre que les volontaires étaient descendus dans le port et qu’en essayant de passer en Turquie ils auraient tiré sur les soldats et sur les territoriaux qui auraient riposté aussi et que la lutte aurait duré trois ou quatre heures [34].

 

De tout ce qui est relaté ci-dessus, il ressort clairement que les autorités ont refusé de donner leur consentement au départ des volontaires. Or, si au premier moment les autorités n’ont pas eu les possibilités matérielles d’intervenir contre les insurgés, maintenant que des territoriaux armés et des paysans des villages voisins — Nazîru, Cazacu, Vărsătura Cotului, Chişcani et Vădeni — étaient arrivés dans la ville, la situation avait changé. Il ressort de toutes les sources connues que toutes les interventions des autorités sont restées vaines et que les insurgés soutenaient fermement qu’ils ne devaient rien à personne et qu’il n’était au pouvoir de personne de les empêcher de quitter la ville pour aller venger leurs frères bulgares tués.

 

D’un autre côté, selon un rapport consulaire [35], presque la moitié (113) des 284 volontaires ne voulurent plus traverser le Danube parce qu’ils doutaient de la bonue foi des autorités qui n’avaient accordé l’autorisation «de départ que sous la menace». Cette renonciation d’une grande partie des volontaires, montre plus clairement que n’importe quoi, la situation telle qu’elle était le 13 Juillet au soir. Le désir des autorités, des consuls étrangers et des commerçants était d’éviter à tout prix une lutte dans la ville. Ne voulant pas les laisser partir sans le consentement du département de l’intérieur, les autorités ont préféré bloquer les volontaires dans la quarantaine et les isoler des citadins qui sympathisaient avec eux.

 

Il est probable aussi que ce sont les autorités qui ont détérioré le bateau dans lequel les volontaires devaient s’embarquer, justement pour les empêcher de partir. Isolés dans la quarantaine, les volontaires auraient été obligés de se rendre, ou bien d’attendre la réponse de Bucarest ou bien encore de s’engager dans une lutte dans laquelle les forces de l’autorité auraient eu dès le début une position tout à fait avantageuse.

 

Le capitaine du port, la direction de la quarantaine et le commandant de la garnison de Braïla envoyèrent à tous les capitaines de vaisseaux étrangers qui se trouvaient dans le port, une note écrite en les priant d’éloigner leurs vaisseaux du bord pour leur épargner des «avaries» et les soustraire aux dangers que pouvaient leur faire courir la ruée des agitateurs, mais ces interventions n’eurent pas de résultat car tous les vaisseaux resteèrent sur place ce qui

 

 

32. Ibidem, (doc. 24), p. 99—103.

 

33. Le rapport de Botta déjà cité dans la note 32.

 

34. Voir le rapport dans Romanski, ouvr. cité (doc. no. 46), p. 123.

 

35. Voir le rapport de Botta dans Bodin, ouvr. cité, p. 185.

 

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a valu à certains d’entre eux quelques petits dommages et à d’autres la perte de quelques marins atteints par les balles échangées entre les autorités et les volontaires [36].

 

Le dimanche 13 Juillet vers 6 heures du soir, les 284 volontaires se rassemblèrent pour le départ. Tatici prononça une courte allocution faisant appel â ses hommes et leur demandant de se plier à la discipline la plus sévère aussi bien à Braïla que plus loin à l’étranger, et de ne se servir de leurs armes que dans les cas les plus extrêmes. Vers le soir, la bande des volontaires se mit en marche vers le port en traversant la ville. A leur suite venaient plus de 2000 personnes, hommes, femmes et enfants qui les accompagnaient vers la rive du Danube en les acclamant. Derrière eux venaient les 2000 hommes armés, la milice et les territoriaux [37].

 

Lorsque la bande des volontaires arriva dans le port pour s’embarquer dans le grand caïc qui les attendait sur la rive, les autorités firent une nouvelle démarche auprès des volontaires pour les prier de remettre leur départ. Les insurgés refusèrent ajoutant que, au cas où l’armée ferait usage de ses armes, ils répondraient eux aussi de la même manière. Lorsque les premiers hommes commencèrent à s’embarquer, ils s’aperçurent que quelqu’un avait détérioré la caïc. Dans le même moment, comme le relate Pappasoglu, on entendit la première sommation et 10 minutes après, la seconde sommation du capitaine Manu. Les armes furent chargées il y eut une troisième sommation et après un bref commandement l’armée se mit à tirer. De nombreux occupants du caïc furent blessés, d’autres sautèrent dans le Danube essayant d’atteindre la rive à la nage. D’autres encore, avec ceux qui étaient sur la rive, répondirent à la salve des soldats en faisant usage de leurs armes, et blessèrent un sous- officier. Une deuxième salve suivit et les volontaires commencèrent à fuir sur le rive dans toutes les directions, cherchant un abri pour pouvoir commencer la lutte [38]. Tatici, avec une trentaine d’hommes luttait avec obstination. Vers le milieu de la nuit, la lutte prit fin et les pourparlers auxquels participèrent quelques négociants bulgares de Braïla commencèrent. Quelques-uns d’entre les volontaires réussirent à se glisser dans la ville ou dans les villages voisins. Vers le matin Tatici, avec 29 volontaires, se rendit après avoir obtenu la promesse de l’intervention des autorités auprès de la «Haute autorité du Prince pour l’obtention de son pardon».

 

La lutte s’était terminée par la mort d’un sous-officier et 5 soldats étaient blessés. Parmi les volontaires on comptait 5 morts et 9 blessés. Le nombre total des volontaires capturés se montait à 65 hommes, qui furent immédiatement remis aux autorités. On conduisit les blessés à l’hôpital militaire et les autres furent arrêtés et enfermés dans la prison de la ville ou à la police [39]. C’est probablement sous l’influence du Colonel Odobescu [40], qui était arrivé à Braïla peu de temps après l’arrestation des volontaires, que les autorités demandèrent à la police de ne pas enfermer le capitaine Tatici et ceux qu’il désignerait lui-

 

 

36. Voir l’adresse de I. Manu dans le dossier des Arch. de l’Etat 989/1841 folio 67—69 dans Romanski, p. 137.

 

37. Kapport de Huber dans Romanski, ouvr. cité, p. 101.

 

38. Voir la narration détaillée dans Pappasoglu, ouvr. cité, p. 154—155.

 

39. Arch. de l’Etat Braïla. Préfecture, Dos. 246/1841, f. 60.

 

40. Ibidem, f. 68.

 

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même avec les autres volontaires et de les traiter «en fonction de leur éducation, afin qu’ils soient satisfaits des soins pleins de clémence reçus au nom de la Haute autorité du Prince» [41]. A Galatz on repêcha le lendemain 27 cadavres de volontaires qui s’étaient noyés [42]. Les Bulgares de Galatz ouvrirent une liste de souscriptions pour les enterrer avec pompe. La foule suivit en grand nombre le cortège funèbre et, ce qui est plus surprenant, note le consul de France Billecocq, c’est que les agents consulaires de l’Angleterre et de la Russie, accompagnés de tous leurs fonctionnaires ont suivi eux aussi ce cortège [43]. L’agent consulaire anglais Cunningham et son collègue Gardner se présentèrent même chez le Prince Mihail Sturza pour le prier d’admettre que les insurgés qui s’étaient réfugiés sur les bateaux étrangers soient autorisés à débarquer à la quarantaine de Galatz. Mihail Sturza ne fit pas droit à cette demande [44]. Les plus veinards furent ceux qui trouvèrent asile sur les bateaux étrangers du port. Au moment où les soldats avaient commencé à tirer et que certains des volontaires sautèrent dans le Danube, quelques bateaux étrangers avaient mis à l’eau des barques qui permirent à 10—70 hommes de se sauver. La direction de la quarantaine rapporte le 14 Juillet que «une vingtaine d’insurgés environ se seraient trouvés sur 2 vases grecs» [45]. En conséquence, les autorités s’adressèrent le même jour au vice-consulat grec de la ville, en lui demandant de leur livrer les 30 hommes et surtout Vasile Vîlkov [46]. Une note similaire fut remise an consulat anglais dans laquelle il était dit que 40 environ des comploteurs devaient avoir trouvé refuge sur des bateaux battant pavillon anglais et que parmi eux se trouverait aussi Vasile Vîlkov [47]. Il est à peu près certain que Vîlkov s’est réfugié sur un bateau anglais, où on le considérait non pas comme le chef de la bande, mais comme son caissier. En effet, comme on l'a appris plus tard, Vîlkov avait reçu 40.000 lei des négociants de Braïla pour engager des volontaires [48]. Le Ministère des Affaires étrangères (Postelnicia) adressa lui aussi une note spéciale au consulat anglais de Bucarest pour demander l’extradition de celui-ci sans pouvoir toutefois l’obtenir [49], ce qui permit au capitaine Vîlkov d’arriver à Galatz [50]. Vingt volontaires trouvèrent asile sur un vapeur russe, qui les débarqua à Reni, et après être passés par la quarantaine du port ils restèrent en Bessarabie [51]. Lorsque l’enquête commença et que les autorités demandèrent à deux reprises l’extradition des volontaires, les capitaines des vaisseaux refusèrent de les livrer. Ni les vice-consuls

 

 

41. Ibidem, f. 61, 78.

 

42. Pappasoglu, ouvr. cité, p. 155.

 

43. Hurmuzaki, Doc. vol. XVII, p. 819 à 820.

 

44. Ibidem, p. 821.

 

45. Arch. de l’Etat, Braïla, dossier cité, f. 59.

 

46. Ibidem, f. 54.

 

47. Ibidem, f. 62.

 

48. Voir la sentence donnée pour le mouvement de 1843 Arch. de l’Etat Buc. Ministère de la Justice, 1843, Dos. 2420, f. 63 à 86.

 

49. Filitti, ouvr. cité, p. 231, 287, 288.

 

50. Arch. de l’Etat, Bucarest, Dos. no. 989/1841, f. 19, dans Romanski, ouvr. cité, p. 125.

 

51. Voir aussi A. Stankov, Жизнеописание Митрополита Охридо-Пловдивскаго Натанаила, dans Сб. Н.У. Sophie. 1909, XXX, р. 13.

 

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de Braïla ne firent rien. Bien plus, les capitaines des vaisseaux, appuyés par les vice-consuls respectifs demandèrent avec des «expressions inconvenantes» des indemnisations pour les dommages subis au cours de la lutte.

 

La nouvelle du mouvement révolutioninares de Braïîa n’arriva à Bucarest que bien plus tard. Le Prince régnant Al. Ghica, qui passait l’été à Breaza, fut mis au courant et il se hâta d’envoyer à Brada son aide de camp, le Colonel Odobescu. Les instructions remises à celui-ci spécifiaient clairement que les volontaires devaient être désarmés et qu’en cas de résistance de leur par il fallait faire usage des armes comme c’était légal. Le colonel Odobescu partit immédiatement pour Bucarest à la tête d’un escadron de cavalerie [52].

 

Alexandre Ghica, qui craignait que la révolte n’ait des ramifications dans d’autres villes aussi, ordonna au Ministère de l’Intérieur de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir un mouvement sembable. Le Ministère de la guerre devait prendre lui aussi des mesures pour renforcer les forces de police. Mais comme, malgré les efforts des estafettes [53] les nouvelles ne parve liaient à Ghica qu’avec un certain retard, le Prince se mit en route vers Braïla. En cours de route, Al. Ghica s’arrêta à Ploieşti et à Buzău, villes qui comptaient des colonies bulgares plus importantes. Il convoqua les chefs des familles les plus en vue et leur montra combien les incidents de Braïla étaient regrettables. Toutefois, le prince souligna qu’il n’était pas dans ses intentions de confondre la population bulgare laborieuse et tranquille avec celle qui, au lieu de montrer de la reconnaissance et de remercier les autorités du pays pour l’hospitalité qu’elles leur avaient accordée, se livraient à des actions semblables. Le Prince leur déclara ensuite qu’il les tiendrait pour responsables de n’importe quel mouvement révolutionnaire qui pourrait éventuellement se produire dans les villes en question et qui auraient des attaches avec ceux de Braïla. A Buzău, Al Ghica fut hébergé par l'évêque Kesarie, sur les conseils duquel H renonça à se rendre à Brăila, D’ailleurs, le courrier venant de Braïla et qui lui apportait, la nouvelle de la fin de l’émeute, le rattrapa peu après. Tranquillisé, le Prince fit dire au colonel Odobescu de transmettre ses remerciements au 2ème régiment de Braïla, à son commandant le colonel Engel, au capitaine N. Manu, qui était eu réalité celui qui avait mis fin à la petite insurrection, aux officiers et aux soldats. Tous ceux qui avaient pris part au combat, reçurent leur avancement sur proposition du général en chef ; ou leur paya trois ou six mois de salaire, comme il ressort de l’ordre du jour du 20 Juillet 1841 [54]. Et le Prince ordonna en même temps de donner aux Bulgares blessés tous les soins nécessaires.

 

Dans une proclamation, Al. Ghica informa les Bulgares et les Serbes du pays que les insurgés avaient déclaré avoir des attaches avec eux et les mit en garde contre «de pareils dupeurs».

 

Le Prince s’adressa aussi aux braïlois, en les sermonnant pour l’attitude de certains d’entre eux au cours des incidents.

 

Le colonel Odobescu aussi bien que les soldats du 2ème régiment de Braïla, rappelés en hâte de Zimnicea, arrivèrent trop tard, c’est-à-dire après le rétablissement l’ordre. Lorsque le lendemain matin lundi 14 Juillet, le commandant

 

 

52. Iоrga, Studii şi documente, XI, p. 249.

 

53. Arch. de l’Etat, Buc., dos. adm. 989/1841, f. 197 et suivants.

 

54. Bulletin «Gazeta oficială» no. 44 din 25.VII.1841, p. 174—175.

 

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Radu Golescu fit son entrée dans la ville, la population qui était encore terrifiée, car les familles de ceux qui avaient été tués avaient menacé de mettre le feu à la ville [55] fit aux soldats une réception des plus chaleureuses. Dans la nuit de lundi à mardi, le colonel Odobescu arriva lui aussi à Braïla pour commencer son enquête, qu’il continua ensuite avec Iancu Mano, directeur du «Ministère de l’Intérieur» et qui était arrivé à Braïla dans ce but.

 

Toutefois, les esprits ne se calmèrent pas de sitôt. Le jeudi 16/28 Juillet, les bulgares de Braïla se rassemblèrent devant la maison où était hébergé le vice-consul russe de Galatz, Karneev et le prièrent d’intervenir en faveur de la libération des détenus. A la prière du colonel Odobescu, Karneev, informa les Bulgares que cette libération ne pouvait être demandée aux autorités que contre le dépôt de certaines garanties.

 

L’enquête eut lieu d’après les ordres du Prince. Alexandre Ghica voulait savoir en primer lieu, où se trouvait le centre, de ces organisations révolutionnaires, leurs ramification dans le pays, en Bulgarie et en Serbie et le nom de ceux qui les conduisaient dans l’ombre. Comme il n’avait pas l’intention de remettre aux turcs, qui pouvaient les réclamer à tout moment, les volontaires prisonniers, Ghica ordonna que le «jugement et la condamnation» se fassent dans le plus bref délai. En attendant on fit remettre en liberté 21 des 64 volontaires arrêtés [56] qui étaient les moins coupables et avaient promis d’avoir une bonne conduite à l’avenir. Sept, autres volontaires restèrent internés à l’hôpital militaire de Braïla [57] où le Prince donna l’ordre de les bien soigner et seuls, 36 d’entre eux avec Tatici à leur tête, furent soumis à une enquête plus sérieuse. Al. Ghica ordonna encore qu’on leur fasse connaître, que s’ils disaient la vérité, on ne les livrerait pas aux Turcs [58] et que leurs plans non plus ne leur seraient pas divulgués à ces derniers.

 

Les déclarations des volontaires arrêtés n’ont pas été conservées [59], mais ce qui est sûr c’est qu’ils avaient des attaches aussi dans d’autres villes du pays. Il l’avaient affirmé eux-mêmes avant leur départ, les consuls étrangers le croyaient et cela ressort aussi du fait que les volontaires n’étaient pas tous des Bulgares habitant Braïla, mais qu’il en était venu aussi de Galatz, de Focşani, de Giurgiu, de Zimnicea, de Roşior de Vede, de Piteşti, de Buzău, de Ploieşti, etc. . . En dehors de quelques Grecs et de quelques Serbes de Kruşevatz ou Kladova, la majorité d’entre eux étaient des bulgares «de Turquie» (Sumen, Sliven, Tîrnovo, Razgrad, Vidin, etc.) [60] et fixés dans le pays. Parmi les roumains il y avait, en dehors de ce Ionitza Manea dont nous avons déjà parlé plus haut, Petre Lupu de Cerneţi, Gheorghe Albu de Buzău, Tănase

 

 

55. Pappasoglu, ouvr. cité, p. 152.

 

56. D’après la correspondance de la police avec les dirigeants, 65. Arch. de l’Etat, Braïla, dos. cit. f. 60.

 

57. D’après la correspondance des autorités de Braïla au début 4 ou 6, Ibidem, f. 60, 61 et 78.

 

58. «Vous pouvez leur donner en notre nom, toutes les assurances qu’en cas d’aveu leur secret ne sera pas livré au gouvernement turc étant inadmissible que nous puissions livrer des chrétiens au sabre du tyran» (Al. Ghica à Odobescu) chez Iorga Studii şi Documente XI, p. 249 à 250.

 

59. Ibidem, t. 56 duquel il résulte que les prévenus devaient faire des rapports.

 

60. Arch. de l’Etat, Buc. adm. 2612/1840, f. 399, 401.

 

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Ioan de Focşani et d’autres encore. Les Roumains qui avaient participé à l’émeute, perdirent en guise de punition, leur emploi.

 

Dans la nuit du 20 au 21 Juillet (1 au 2 Août), les 36 volontaires arrêtés furent envoyés à Bucarest et enfermés dans la prison de Dudeşti. Dix jours plus tard, le 31 Juillet 1841, Al. Ghica, faisant usage des prérogatives que lui donnait le Réglement Organique, ordonna l’envoi des volontaires «au bagne, pour les punir», jusqu’au moment où ils se repentiront de leurs actes, les soustrayant ainsi à la justice ordinaire.

 

Pour un observateur plus attentif ces apparences ne peuvent cacher le véritable sens dans lequel Al. Ghica mit fin à l’incident. Voici ce que dit le rapport du 20 Août du consul français Billecocq:

 

«Le prince Ghica profitant des pouvoirs que le Réglement organique lui accorde dans les cas extraordinaires réputés pour intéresser la sûreté de l’Etat, a ordonné sans jugement préalable l’envoi aux salines des prisonniers Bulgares et Servions faits à Ibraila. Ils est vrai qu’il s’est réservé par le même décret qui les condamne à cette, peine infamante de leur faire grâce si plus tard, ils donnent des signes de repentir ; il devient alors bien clair pour tout le monde qu’en usant d’une sévérité apparente envers ceux que le feu de la milice valaque à épargnés à Ibraila, le Prince Ghika et son gouvernement n’ont été préoccupés que du soin d’adopter une mesure qui, dans les circonstances présentes, les dispensât de livrer à la Porte, qui pourrait les leur demander, leurs prisonniers chrétiens [61].

 

D’ailleurs, Al. Ghica avait envoyé immédiatement un courrier à la Porte, et son agent à Constantinopole, N. Aristarhi avait présenté les choses au Sultan de telle façon que celui-ci remercia le Prince et ne trouva plus nécessaire de demander l’extradition des coupables pour les juger, laissant ce soin aux tribunaux roumains. Bien mieux encore, le Sultan décora les officiers du régiment de Braïla, de l’ordre de «Nişan-Iftiar» [62]. Le Sultan remercia aussi Mihail Sturza auquel il envoya une tabatière émaillée incrustée de diamants et lui décerna le titre de premier Prince de l’Empire [63].

 

Mais si la Porte se tranquillisa vite et si Al. Ghica put facilement venir à bout des difficultés qui auraient pu naître de ce côté, le Prince eut toutefois des désagréments à cause de l’ingérence des consuls étrangers dans les incidents de Braïla. Les consuls étrangers de Brada et de Galatz qui avaient observé de près les incidents et en avaient même été parfois les témoins oculaires, avaient envoyé immédiatement des rapports sur ces incidents à leurs gouvernements. L’attitude prise par Metternich et la note qu’il envoya à la Russie et qui sc référait à l’attitude du vice-consul russe de Galatz, Karneev amena à Al. Ghica, les désagréments dont nous avons parlé ci-dessus.

 

L’attitude de Karneev laissait en effet entrevoir clairement son ingérence dans le mouvement et la protection qu'il lui avait accordée. Tatici avait chez lui des actes d’identité russes, il l’avait rencontré plusieurs fois en secret et Karneev avait à un moment donné servi d’intermédiaire entre les volontaires rassemblés à Brada dans la maison assiégée et les autorités. Le jourmême

 

 

61. Hurmuzaki, Doc. XVII, f. 822.

 

62. Pappasoglu, ouvr. cité, p. 157.

 

63. Hurmuzaki. Doc., XVII, p. 823.

 

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des incidents, il avait eu à Braïla une dernière entrevue avec Tatici, et c’est toujours à lui que les Bulgares de Braïla feront appel lorsqu’ils demanderont la libération des volontaires arrêtés.

 

D’autre part, Tatici avait, à un moment donné, l’intention de partir pour Reni et le fait que justement le jour des incidents, 11 barques russes soient venues de Bessarabie à Tulcea, comme l’affirme un rapport consulaire, est des plus curieux. Les barques étaient munies de 11 canons, et les soldats qui ont débarqué là — bas, avaient installé une boulangerie de campagne et avaient même préparé une certaine quantité de pain. Les soldats russes, qui avaient l'air d’attendre quelque chose, n’avaient quitté le territoire turc que mercredi soir moment où ils étaient retournés à Reni [64].

 

Dans la nuit de l’émeute, une vingtaine de volontaires furent se sauver grâce à un bateau russe qui les débarqua par la suite à Reni [65].

 

Tout ceci fit soupçonner à Billecocq et à Huber l’ingérence de la Russie ou tout au moins celle de Karneev. Mais tandis qu’ils se trompaient lorsqu’ils croyaient dans une ingérence officielle de la Russie, ils ne se trompaient pas lorsqu’ils accusaient Karneev de jouer un certain rôle dans ce mouvement. Une lettre de Kotzebue, consul russe à lassi, explique ou ne peut mieux, aussi bien l’attitude officielle de la Russie dont la voix se faisait entendre par l’intermédiaire de ce consul, que celle de Karneev. Kotzebue, qui connaissait les mesures prises par les autorités moldaves alarmées par les achats d’armes et de poudre de Galatz, écrivait à Karneev le 12 Juillet, c’est-à-dire la veille des incidents en lui donnant des dispositions précises.

 

Sur un ton assez sévère, Kotzebue lui ordonnait de ne pas donner d’aide aux volontaires, même s’ils affirmaient avoir servi dans l’armée russe, étant donné que c’étaient des officiers en retraite. Dans le cas où l’un d’entre eux aurait eu un passeport russe, Karneev devait l’arrêter immédiatement et le soumettre à une enquête sévère d’un commun accord avec les autorités de Galatz. On devait enquêter de même tout sujet russe de Galatz qui aurait eu des attaches avec ce mouvement où en aurait su quelque chose. Au cas où les sujets russes auraient eu l’intention de donner une aide quelconque à ces personnes suspectes, Karneev était invité à les en empêcher et à les prévenir qu’ils seraient sévèrement sanctionnés s’ils se ralliaient à ce genre de mouvement. En général, Karneev devait donner tout son concours aux autorités moldaves qui avaient pris les mesures imposées par les évènements [66].

 

La note de Metternich provoquée par les rapports venus des Principautés, produisit un certain énervement à Pétersbourg et le gouvernement russe qui reconnaissait tacitement la faute de Karneev, ne le rappela toute fois pas immédiatement pour ne pas montrer qu’il faisait retomber sur lui toute la responsabilité des incidents. En même temps on affirmait à Pétersbourg que la police de Braïla était en grande partie fautive et Al. Ghica reçut des remontrances à ce sujet. En échange, la police moldave de Galatz et de Michel Sturza reçut des éloges, ce qui irrita encore davantage le Prince étant donné ses relations avec son collègue moldave. A cause de cela le Prince envoya aux

 

 

64. Romanski, ouvr. cité, p. 95 à 96.

 

65. Bodin, Nouvelles informations, p. 477.

 

66. Lettre de Kotzebue, Hurmuzaki, suppl., I. vol. VI, f. 445—444.

 

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consuls étrangers une note dans laquelle il présentait l’incident de la façon dont il désirait le voir rapporté par ceux-ci à leurs gouvernements respectifs. D’après Al Ghica le mouvement a Braïla ne devait pas être considéré comme un mouvement isolé, mais comme l’œuvre d’une organisation révolutionnaire étendue, avec des ramifications en Turquie et en dehors du pays aussi et disposant de l’appui «de certains agents consulaires de Braïla et de Galatz» expression qui désignait sans aucun doute Karneev. D’ailleurs aussi bien celui-ci que le vice-consul anglais Cunningham eurent à souffrir par la suite de leur attitude. Karneev enquêté par Kotzebue fut rappelé plus tard et on disait que Cunningham avait été rappelé à Constantinople pour donner des informations sur le mouvement de Braïla. En réalité lui aussi fut enquêté mais on ne connut pas le résultat de cette enquête. Pour donner satisfaction à la Russie, Al. Ghica dut lui aussi faire des changements dans l’administration du district de Braïla.

 

* * *

 

Quoique les enquêtes n’aient pas réussi à établir la personnalité des véritables iniateurs du mouvement et leurs attaches avec les Bulgares des autres villes du pays, le Prince Al. Ghica soupçonnait l’existence d’un plan plus ample et d’une organisation plus vaste. Et le Prince ne se trompait pas.

 

L’insurrections de Braïla de 1841 aussi bien que celles qui eurent lieu les années suivantes sont en effet inséparables des révoltes provoquées à cette époque dans l’Empire ottoman par les Bulgares et par les Grecs à la suite des réformes faites alors dans cet Empire.

 

Les réformes du Sultan Mahmoud, qui rompaient avec la tradition séculaire et tendaient à faire des sujets chrétiens de l’Empire les égaux des musulmans amenèrent les plus véhémentes protestations des exploiteurs turcs qui voyaient leurs revenus menacés. Le renforcement de l’oppression turque dans les provinces européennes de l’Empire provoqua une série de révoltes des Bulgares et des Grecs.

 

Nous savons que toutes les révoltes des Bulgares de 1835 à 1841 n’ont été possibles que grâce à l’appui de leurs compatriotes de Valachie et au refuge qu’ils trouvèrent chez eux, ou bien encore grâce aux encouragements et à l’appui de Miloş de Serbie et après lui de son fils Michel.

 

Miloş n’est pas étranger non plus à la révolte de Niş et il a maintenu des rapports avec les insurgés de Bulgarie même après que celle-ci eut éclaté.

 

Mais si, tant qu’il était sur le trône de Serbie, Miloş ne pouvait intervenir directement dans les mouvements révolutionnaires des Bulgares, maintenant qu’il était réfugié lui aussi en Valachie il n’avait plus rien à craindre d’autant plus qu’il s’était assuré aussi la protection de la Russie. Les encouragements de sa mère [67] dans ce sens, ont donné à ses espérances de reconquérir un jour le trône perdu un aiguillon encore plus puissant. Le nouvel esprit qui régnait parmi les émigrés bulgares des principautés et l’atmosphère révolutionnaire, que des agitateurs tels que Vaillant, Colson ou le complot roumain de 1840

 

 

67. Воdin, Nouvelles informations, p. 176 (Rap. du consul Adolfo Castellinard qui mentionne l’opinion de Michel Sturza et de Nicolas Suţu).

 

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avaient créée firent que Miloş trouva, dans le pays roumain, un terrain apte à Implication de ses plans.

 

En fait, c’est Miloş qui a préparé dans l’ombre tout le mouvement révolutionnaire de Braïla de 1841, mais jusqu’à présent aucun des ouvrages mentionnés ci-dessus n’a mis le rôle qu’il a joué dans sa véritable lumière. L’académicien Romanski n’a pas eu connaisance de quelques-uns des documents fonda, mentaux qui lui auraient permis d’établir une liaison entre la révolte de Niş- le plan de Miloş dans les Principautés et les insurrections de Braïla et son ouvrage mentionne toutes sortes de causes sans insister sur ces dernières [68]. Mais voici ce qui ressort des informations documentaires et des témoignages contemporains.

 

En 1839 Miloş, qui avait quitté le trône de Serbie, vient en Valachie escorté de nombreux compagnons et s’installe dans son domaine de Hereşti. Il avait aussi d’autres domaines [69] et il avait toujours de l’argent. Il nous suffira de souligner le fait qu’il avait pu prêter au Prince régnant 1.300.000 lei. Non seulement le désir de se battre contre les Turcs ne l’avait pas quitté, mais c’est à peine maintenant quand il n’avait plus rien à perdre mais au contraire tout à gagner — qu’il pouvait organiser une lutte commune avec les Grecs, et surtout avec les Bulgares contre les Turcs. Tout ceci était d’ailleurs bien connu de tout le monde, quoique Miloş ait été sur ses gardes et qu’il ait travaillé avec prudence. Les Bulgares le savaient, quant au contemporain Vaillant, révolutionnaire lui-même, il l’avoue clairement: «les Bulgares demandent à Miloş des les emmener se battre contre les Turcs et 12.000 d’entre eux environ, ont le désir de traverser le Danube» [70]. Miloş en avait l’intention et il l’avait avoué à Billecocq, qui affirme, en Juin 1841 . . . «sans aucun douté Miloş aurait aspiré à devenir un Mehmet-Ali chrétien [71]». Les Turcs qui essayaient par tous les moyens de déterminer Miloş à quitter la Valachie, où il pouvait organiser des mouvements et des révoltes, en particulier par les Grecs et les Bulgares réfugiés chez nous, le savaient aussi. La Porte soupçonnait déjà Miloş qui travaillait dans l’ombre avant que les mouvements révolutionnaires des Braïla de 1841 n’éclatassant et elle intervient directement et énergiquement pour le déterminer à quitter la Valachie [72]. Miloş qui était au courant de ses intentions et qui voulait tromper les Turcs en partant pendant l’été de 1841 à Mehadia sous prétexte de soigner sa santé, fut invité par les Turcs à quitter le pays. Il pouvait choisir entre les villes turques de Brousse,

 

 

68. Traikov qui c’est occupé de compléter l’ouvrage de Romanski relatif aux mouvements de 1843 ne tire aucun conclusion et celà malgré la publication qu’il fit de deux documents traduits en bulgare de la collection d’Hurmuzaki, parce qu'il se limite seulement au complot de Septembre 1843 et surtout à la rébellion de Telega.

 

69. Voir Ionel Dîrdală, Moşiile Dinastiilor sîrbeşti in Romînia, dans la «Revista Istorică Romînă», XVI, Buc., 1946, fasc III, p. 375.

 

70. J. A. Vaillant, La Roumanie II, f. 405. Ils ont gardé plus tard aussi les mêmes espoirs, ils devinrent ceux du fils de Miloş prince Michel, des qu’il eut perdu son trône- temporairement et s’était établi dans le pays roumain. En 1847 un comité bulgare travail lait à Bucarest avec Michel, à un plan de propagande commune en Turquie.

 

71. Rapport de Billecocq dans Hurmuzaki, Doc., XVII, f. 812 à 813.

 

72. La Porte avait demandé à Al. Ghica d’amener Miloş de Hereşti à Bucarest et de le surveiller de près. Le Prince avait toutefois reçu une communication de la part de Consulat russe dans laquelle on lui faisait savoir que Miloş était sous la protection impériale. Filitti, Domniile regulamentare, p. 123.

 

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Constantinople et les autres, et dans le cas où il aurait refusé et qu’il aurait voulu partir en Autriche, il devait se fixer le plus loin possible, par exemple dans le royaume Lombardo-vénilien. Vienne [73] non plus ne convenait pas à la Turquie, et nous pouvons nous rendre compte par toute la correspondance diplomatique qui a trait à ce sujet à quel point la Porte le trouvait dangereux et quelle fut sa satisfaction, quand enfin il quitta la Valachie [74].

 

Al. Ghica se rendit compte lui aussi du danger, surtout lorsqu’il vit également des Bulgares arriver en Valachie après le bâillonnement de la révolte de Niş. Et comme il s’attendait à un mouvement du même ordre, il avait fait renforcer la garnison postée sur les bords du Danube et plus spécialement celle de Zimnicea, point par où les Bulgares de cette petite ville et ceux des villes voisines d’Alexandria et de Mavrodin — qui comptaient quelques milliers de Bulgares—auraient pu traverser le Danube pour venir en aide à leurs compatriotes [75].

 

D’un autre côté, le consul sarde de Galatz Adolfo Caslellinard, reçu en audience par Mihail Sturza, enregistre en 1841 l’opinion du Prince régnant de Moldavie et celle de son ministre des Affaires Etrangères Nicolas Suţu, qui affirmaient tous deux que le. mouvement avait été provoqué par Miloş et surtout par la mère de celui-ci qui se trouvait en Valachie et qui désirait que. son fils remontât sur le trône [76].

 

Il est vrai d’ailleurs que l’action de Milos n’avait pas été découverte au moment de l’interrogatoire des comploteurs de 1841, mais plus tard en 1843—1844 et justement parce que les mouvements de Braïla ayant été étudiés séparément les uns des autres, on n’avait pas pu établir entre eux une corrélation que les documents montrent si clairement.

 

En 1843, un des principaux participants au troisième mouvement révolutionnaire de Braïla (1843), le «Vistier» Andrei Deşu, était condamné à plusieurs années de travaux forcés et envoyé à Telega. Au procès il s’etait entêté à ne rien divulguer niant même l’évidence. Ce n’est qu’apres l’échec de la rebéllion de Telega, lorsqu’il se vit condamner pour la seconde fois, qu’Andrei Deşu se décida à parler parce que le seul moyen pour lui de se sauver était d’essayer de gagner la bienveillance des juges par des aveux et il donna alors des informations importantes sur le mouvement de 1841. Ses déclarations sont claires [77]: Immédiatement après la révolte de Niş il avait collaboré, au plan fait par Miloş pour la libération de la Bulgarie et tous les mouvements révolutionnaires des Bulgares de Valachie sont basés sur ce plan.

 

 

73. La Turquie espérait que l’Autriche fixerait un domicile à Miloş là où «il sera le plus facile d’exercer sur le Prince Miloş une surveillance active et efficace». Romanski, Австрийски документи, p. 93, 185—193.

 

On est intervenu au même moment par Daşkov pour que Miloş ne parte en aucun cas en Autriche par la voie du Danube, mais par Sibiu. Ibidem, p. 191.

 

74. Au même moment on intervenait par Daşlcov pour qu’on ne laissa pas partir Miloş en Autriche en aucun cas par le Danube mais par Sibiu. Ibidem, p. 131.

 

75. Exposé de Al. Ghica sur le mouvement de Braïla remis à Timoni pour servir à l’information de Metternich dans Romanski, Браилски историйки, p. 92—91.

 

76. Voir le rapport de Adolfo Gastellinard dans Bodin, Nouvelles informations, lieu cit.

 

77. Hurmuzaki, Doc., XVII, p. 1026—27. On retrouve dans ce rapport une partie des déclarations de Deşu tandis que l’autre partie se trouve dans la sentence du procès de Telega. Arch. de l’Etat, Buc., Dos. cit. 2420, f. 198—209—216—218.

 

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Miloş était entré en relations avec l’ambitieux Constantin Suţu. Dans ses plans, Miloş désirait une révolte générale contre les Turcs grâce à laquelle il aurait pu remonter sur le trône. Quant aux Bulgares, qui n’avaient pas d’aristocratie, il leur aurait proposé immédiatement après leur libération de donner la couronne à un des boyards du pays roumain qui devait être Constantin Suţu. Deşu avait été recommandé à Miloş par Constantin Suţu qui le lui avait, amené à son domaine de Hereşti. Après que Miloş eut parlé à Constantin Suţu, celui-ci lui avait présenté Deşu en le priant de lui donner toutes dispositions pendant le voyage qu’il allait faire en Grèce. Au départ, Deşu demanda à Suţu de lui dire en quoi consistaient les dispositions que Miloş pourrait être amené à lui donner et sa réponse ne laisse pas d’equivoque — il s’agira probablement de traverser le Danube pour s’occuper d’affaires ayant trait à certaines espérances [78] que nourrissait Miloş. Entre autres il était question pour Deşu de mettre à sa disposition plusieurs chaloupes pour traverser le Danube, ce qui explique clairement pourquoi les membres du complot avaient voulu partir à Turnu-Mâgurele où Deşu aurait été celui qui leur aurait fait traverser le Danube [79]. Aussitôt après cette entrevue, qui avait eu lieu à la fin du mois d’Avril ou au mois de Mai 1841 [80], Deşu était rentré à Bucarest où il s’était trouvé dans la même chambre qu’un négociant qui l’avait prié de lui trouver une personne de confiance qui pourrait partir immédiatement pour Niş où elle devait entrer en relations avec les insurgés et les déterminer à résister encore 40 à 50 jours dans l’espoir d’une aide ou même d’une intervention armée de la Russie. (Miloş pensait probablement à la révolte qui devait éclater à Brăila et qui, amplifiée aurait déterminé la Russie à intervenir) Deşu trouva rapidement un émissaire, un nommé Petre [81], qui pour 25 ducats accepta de partir immédiatement. U parait d'ailleurs, que certains émissaires qui n’étaient pas étrangers non plus à Miloş, faisaient la navette entre les Bulgares de Galatz, de Focşani de Buzău, de Ploieşti, etc. [82] et ceux de Moldavie.

 

Or, si Miloş avait été contraint, à la suite des pressions turques, de quitter la Valachie, ses hommes y étaient restés. Le chef de la bande de Braïla est un ancien capitaine serbe Miloia Stanislovovici surnommé Milisav Tatici. Originaire de Şabaţ, il avait appartenu à l’armée du Prince Miloş et l’avait accompagné à Bucarest lors de son abdication, ce qui montre que c’était un de ses hommes de confiance. Les documents existants nous apprennent, que Miloş l’aurait chassé par la suite et que Tatici aurait été compromis par le non paiement de certaines dettes et mis en prison, mais relâché sur l’intervention d’un négociant nommé Gopievici. Celui-ci paye ses dettes l’entretient et l’emmène avec lui à Brada. Pendant l’été de 1841, le capitaine venait souvent à Galatz vêtu de l’uniforme serbe et recrutait des hommes, environ

 

 

78. Hurmuzaki, ouvr. cité, f. 1030—1031.

 

79. Voir les déclarations de Deşu dans la sentence du procès de Telega.

 

80. L'instruction de Niş a commencé le 6 Avril et le 4 Juin Miloş était en Transylvanie.

 

81. Il est fort probable qu’il s’agisse de Pierre «gavazul» de Hereşti, l’homme de confiance du Prince Miloş. Voir Arch. de l’Etat, Buc., Dos. 894/1842, p. 113.

 

82. Un certain Ivan Spasovici était venu en secret de Braïla à Ploieşti et la police lecherchait le 24 Juillet 1841. Arch. de l’Etat, dos. 980/1841, folio 59, 64, 83. Nous retrouverons son nom aussi dans le troisième mouvement.

 

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en pen de temps [83]. Il achète aux négociants autrichiens, des armes et de la poudre en grandes quantités ce qui démontre qu’il disposait de grosses sommes d’argent [84]. Il faisait au vice-consul russe Karneev de fréquentes visites et des documents, inconnus jusqu’à maintenant montrent, qu’au cours des perquisitions qu'on lui a faites après les sanglantes bagarres du port de Braïla, on a trouvé sur lui deux passeports, l’un serbe et l’autre russe [85]. D’après le rapport du consul Atanasovici adressé à Metternich, Tatici aurait déclaré au cours de l’enquête de Braïla que c’était le Prince Miloş qui avait tout réglé [86]. Et toujours d’après certains documents inconnus ou inutilisés jusqu’à ce jour Tatici qui avait été le chef de la rebéllion est gracié par Bibescu à la condition de partir en Serbie et de promettre de ne jamais revenir en Valachie.

 

Malgré les précautions de Miloş, qui travaillait dans l’ombre, le rôle qu’il a joué ressort clairement de tous les documents ci-dessus. Le négociant que Deşu a trouvé «par hasard» à l’auberge de Manuc était l’homme de Miloş. Ce «par hasard» doit être interprété dans le sens que Deşu ou bien n’avait pas voulu en 1844 tout divulguer, ou bien que Miloş avait pris des mesures de précaution même vis-à-vis de Deşu. Cette dernière hypothèse est la plus plausible, car Miloş répète le jeu avec Tatici aussi. Quoique ce dernier soit son homme de confiance il rompt avec lui d’une façon tapageuse afin que personne ne puisse soupçonner un lien quelconque entre lui et son ancien officier. Le négociant Gopievici est lui aussi l’homme de Miloş, care il est difficile de croire qu’un négociant qu’il ne connaissait pas ait pu faire sortir Tatici de prison lui payer ses dettes et l’emmener à Braïla où il dispose par la suite d’impressionnantes sommes d’argent. Il est probable que les Russes eux aussi lui ont donné de l’argent comme le soupçonnait la police moldave à cause d'un certain Marinkovici qui avait reçu d’eux un petit sac plein d’argent. Les négociants bulgares et probablement aussi Miloş avaient, donné eux aussi de l'argent à Vîlkov. Comme Miloş, Tatici travaille lui aussi dans l’ombre puisque jusqu’au dernier moment ce n’était pas lui mais un «certain Vasili» en fait 1e capitaine Vasili Vîlkov qui passait pour le chef du mouvement. Ce n’est que lorsque tout fut prêt que Tatici sortit de l’ombre et prit le commandement [87]. Voilà donc la vraie lumière dans laquelle il faut voir le mouvement révolutionnaire de Braïla qui, même si le nombre des Serbes qui y participent est réduit, doit être considéré, au moins par ceux qui en ont l’initiave et par ceux qui le dirigent, comme un mouvement serbo-bulgare, tout comme le mouvement de 1842 sera un mouvement greco-bulgare. C’est le départ forcé de Miloş qui est la cause de toutes les hésitations dont les volontaires, qui ne savaient pas s’ils devaient traverser immédiatement le Danube à Màcin ou s’ils devaient prendre le chemin de Turnu-Màgurele où Deşu les attendait avec des chaloupes préparées pour leur faire traverser le Danube, ont fait preuve à Braïla.

 

 

83. Hurmuzaki, Doc., XVII, p. 821.

 

84. Arch. de l'Etat, Buc., Dos. Adm. 989/1841, f. 191.

 

85. Romanski, Браилски историйки, p. 78—81, 90—98.

 

86. Rоmanski, Австрийски документи, p. 177, 5 Arch. de l'Etat, Buc., dos. cit., f. 291.

 

87. Tani Ghincev qui connaissait tout le mouvement par les dires de Racovski, indique lui aussi dans ses mémoires, le Prince Miloş, comme étant l’initiateur de tout le mouvement.

 

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Des documents nouvellement découverts on fait maintenant la pleine lumière sur le sort des condamnés du mouvement révolutionnaire de Braïla de 1841, qui furent envoyés aux travaux forcés à Telega oii ils arrivèrent le 7 Aoûta [88].

 

C’est là aussi que Tatici fut envoyé avec 35 autres volontaires [89]. Les huit volontaires qui étaient restés à l’hôpital de Braïla parce qu’ils avaient été blessés, guérirent et à l’exception d’un seul d’entre eux qui trop affaibli encore resta en prison, les dirigeants de la ville les envoyèrent à Bucarest au mois d’Août [90]. Le 8 Septembre le Département de l’Intérieur communique à la Direction des prisons que sur l’ordre du Prince ces détenus devaient aux aussi être envoyés au même bagne. Les formalités de transport durèrent encore un mois et, au début du mois d’Octobre 1841, ils arrivèrent eux aussi au bagne de Telega [91]. C’est là-bas que moururent en 1842, Tvetcu Trifu et Gligore Vasiliu qui avaient essayé de s’enfuir de l’hôpital ainsi que Velicu Pietrosu de Brada et Dumitru Milanovici en 1843 après avoir eu le typhus [92].

 

Aussitôt après son transfert à Telega, le capitaine Tatici avait envoyé à la direction des prisons, la liste d’un certain nombre d’objets qui à la suite de son arrestation seraient restés à Brada et dont le policier de la ville Pană Ţăndărică et le capitaine du port avaient connaissance. Il y était question d’une quarantaine de pièces d’habillement, d’armes, d’actes, etc. ... et d’une somme de 865 sfanţi (pièce de monnaie qui valait 83 centimes). Il est interesant de noter que parmi ces objets il énumérait, «3 documents — l’un émanant du général Kisselef, l’autre d’un général comte anglais qui avait été en Serbie et le troisième du Cneaz Miloş», deux passeports, l’un serbe et l’autre russe [93]. Tous ces objets ne furent pas retrouvés à Brada et avaient été remis par le policier de la ville et le capitaine du port à I. Manu [94].

 

Après la destituation d’Alexandre Ghica, le nouveau Prince régnant G. Bibescu gracie en Avril 1843, 9 condamnés et 39 autres furent soumis à un régime adouci et envoyés du bagne de Telega à la prison de Giurgiu [95] où ils arrivaient au mois de Mai de la même année [96]. De cette prison, le capitaine Tatici adressa au Prince une demande dans laquelle il suppliait celui-ci de lui accorder «entièrement son pardon». Sa demande fut soutenue aussi par le directeur des prisons, Blaremberg, qui déclara que Tatici avait eu, pendant toute la durée de son emprisonnement, une bonne conduite. Bibescu le gracia à la condition que la direction des prisons l’expulse en Serbie d’où Tatici n’aurait plus le droit de revenir jamais en Valachie [97]. Tatici donna en effet celte déclaration le 24 Août 1843. La direction des prisons et le département

 

 

88. Voir Rоmanski, our. cité, doc. no. 57, Arch. de l’Etat, Buc., Adm. 989/1841, f. 127.

 

89. Voir la liste dans Romanski, ouvr. cité, f. 127—8.

 

90. Rоmanski, ouvr. cité, doc. no. 58—62, p. 129—31.

 

91. Arch. de l’Etat, Buc., Adm. 989/1841, folio 238, 244, 245, 254.

 

92. Voir leurs actes de décès dans le même dossier, f. 273—4, 275—6 et Min. de la Justice, 149/1842, f. 55, cf. Anul 1848 in Principatele romîne 1, p. 630.

 

93. Arch. de l’Etat. Buc., Dos. 989/1841 folio 191.

 

94. Ibidem, Dos. no. 989, 1841, f. 191.

 

95. Ibidem, t. 244, 283.

 

96. Ibidem, f, 283. 284.

 

97. Ibidem, f. 291.

 

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de l’Intérieur prirent toutes les mesures nécessaires et accompagné d’un soldat de la Territoriale, Tatici fut emmené dans une charrette à Turnu-Severin où il devait être remis aux autorités de Mehedinţi qui elles aussi avaient reçu l’ordre de lui faire passer la frontière par l’escale de Kladova. Le 27 Août le capitaine Tatici était arrivé à Severin et le même jour on lui fit traverser la frontière pour entrer en Serbie [98].

 

Les autres condamnés furent graciés un an plus tard à l’occasion de la fête du Prince. Ils devaient être libérés immédiatement de la prison de Giurgiu. On faisait entre les condamnés la distinction suivante : «ceux qui étaient étrangers et venaient d’au-delà du Danube devaient être renvoyés chez eux», quant aux autres—c’est à dire les aborigènes ainsi que ceux qui payaient des impôts dans le pays mais étaient d’origine étrangère devaient être renvoyés chez eux sous caution [99]. Parmi eux se trouvaient aussi Ilie sin Teodor de Sliven qui «étant atteint de débilité mentale» avait été envoyé sur l’ordre du Prince depuis le 7 Septembre 1842 à «la direction des maisons de bienfaisance» ce qui voulait dire à l'hôpital [100]. La liste de ceux que Bibescu a graciés en 1844 comprend aussi les 38 détenus de la prison de Giurgiu et on peut y lire le nom de chacun d’eux ainsi que celui du village ou de la ville qu’ils habitaient ou dont ils étaient originaires. La plupart sont des Bulgares fixés depuis longtemps déjà chez nous et quelques Serbes de Kruşevaţ, Kladova, etc. [101]. On a fait traverser le Danube à 7 d’entre eux et les autres furent envoyés sous caution à Braïla, Zimnicea ou dans les autres parties du pays où ils avaient leur domicile.

 

On ne pourra bien comprendre toutes les causes qui expliquent l’insuccés de cette première tentative qu'après avoir lu l’exposé intégral des trois mouvements — qui sera fait dans un prochain ouvrage. Toutefois, nous pouvons affirmer d’ores et déjà, que si le mouvement de 1841 n’a pas réussi, c’est parce qu’il avait été insuffisamment préparé. Nous avons vu que Miloş, qui dirigeait tout, avait été forcé de quitter la Valachie avant d’avoir terminé tous les préparatifs et avant de décider de la date (probablement le mois d’Août) et du lieu où le passage du Danube devait se faire. Resté isolé à Brada, Tatici se décide à l’action et essaye de traverser le Danube à Macin parce que les autorités commençaient à avoir des soupçons, ce qui donne naissance aux bagarres du port.

 

Ce qu’il faut souligner tout particulièrement c’est le fait que le vistier Andrei Deşu et le logothète Constantin Suţu n’ont pas pris part uniquement, comme on l'а cru jusqu’à maintenant, à la troisième insurrection (1843) mais qu’ils ont participé aussi à l’organisation de la première (1841). C’est parce que l’enquête sommaire faite à Brada ne s’est par terminée par un procès, le Prince Al. Ghica ayant condamné directement les inculpés, qu’ils n’ont pas été découverts. Quoique les autorités de Brada se soient vues dans l’obligation de recourir à la force l’altitude apparemment sévère mais en réalité indulgente du Prince, est à souligner. Sans cette condamnation rapide, les volontaires auraient pu être à tout moment réclamés par la Porte. D’ailleurs, les documents

 

 

98. Ibidem, t. 292, 299.

 

99. Ibidem.

 

100. Arch. de l’Etat, Buc., dos. Adm. 2612/1840, f. 395.

 

101. Ibidem, f. 401.

 

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nouvellement découverts montrent que les volontaires avaient été graciés plus tard, ce que l’on n’avait pas su jusqu’à maintenant.

 

Le mouvement révolutionnaire de Braïla de 1841 montre que la lutte pour la liberté n’a cessé à aucun moment et que les Bulgares, les Serbes et les Grecs émigrés chez nous ou dans le sud de la Russie avaient le désir de former des détachements qui devaient traverser le Danube et provoquer une révolte générale, et qu’ils espéraient que la Russie les aiderait. C’est la même tactique révolutionnaire dont le mouvement de 1841 marque le début qui va être répétée en 1842 et en 1843 et continuée par les émigrés bulgares en particulier jusqu’au voisinage de la guerre de libération de 1877—1878.

 

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